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GALERIE En effet, il fallut se rationner. Notre provision ne pouvait durer plus de trois jours. C’est ce que je reconnus le soir au moment du souper. Et, fâcheuse expectative, nous avions peu d’espoir de rencontrer quelque source vive dans ces terrains de l’époque de transition. Pendant toute la journée du lendemain, la galerie déroula devant nos pas ses interminables arceaux. Nous marchions presque sans mot dire. Le mutisme de Hans nous gagnait. La route ne montait pas, du moins d’une façon sensible. Parfois même elle semblait s’incliner. Mais cette tendance, peu marquée d’ailleurs, ne devait pas rassurer le professeur, car la nature des couches ne se modifiait pas, et la période de transition s’affirmait davantage. La lumière électrique faisait splendidement étinceler les schistes, le calcaire et les vieux grès rouges des parois. On aurait pu se croire dans une tranchée ouverte au milieu du Devonshire, qui donna son nom à ce genre de terrains. Des spécimens de marbres magnifiques revêtaient les murailles, les uns, d’un gris agate avec des veines blanches capricieusement accusées, les autres, de couleur incarnat ou d’un jaune taché de plaques rouges; plus loin, des échantillons de ces griottes à couleurs sombres, dans lesquels le calcaire se relevait en nuances vives. La plupart de ces marbres offraient des empreintes d’animaux primitifs. Depuis la veille, la création avait fait un progrès évident. Au lieu des trilobites rudimentaires, j’apercevais des débris d’un ordre plus parfait; entre autres, des poissons Ganoïdes et ces Sauropteris dans lesquels l’œil du paléontologiste a su découvrir les premières formes du reptile. Les mers dévoniennes étaient habitées par un grand nombre d’animaux de cette espèce, et elles les déposèrent par milliers sur les roches de nouvelle formation. Il devenait évident que nous remontions l’échelle de la vie animale dont l’homme occupe le sommet. Mais le professeur Lidenbrock ne paraissait pas y prendre garde. Il attendait deux choses: ou qu’un puits vertical vînt à s’ouvrir sous ses pieds et lui permettre de reprendre sa descente, ou qu’un obstacle l’empêchât de continuer cette route. Mais le soir arriva sans que cette espérance se fût réalisée. Le vendredi, après une nuit pendant laquelle je commençai à ressentir les tourments de la soif, notre petite troupe s’enfonça de nouveau dans les détours de la galerie. Après dix heures de marche, je remarquai que la réverbération de nos lampes sur les parois diminuait singulièrement. Le marbre, le schiste, le calcaire, les grès des murailles faisaient place à un revêtement sombre et sans éclat. À un moment où le tunnel devenait fort étroit, je m’appuyai sur sa paroi de gauche. Quand je retirai ma main, elle était entièrement noire. Je regardai de plus près. Nous étions en pleine houillère. Hans prépara quelques aliments. Je mangeai à peine, et je bus les quelques gouttes d’eau qui formaient ma ration. La gourde du guide à demi-pleine, voilà tout ce qui restait pour désaltérer trois hommes. Après leur repas, mes deux compagnons s’étendirent sur leurs couvertures et trouvèrent dans le sommeil un remède à leurs fatigues. Pour moi, je ne pus dormir, et je comptai les heures jusqu’au matin. Le samedi, à six heures, on repartit. Vingt minutes plus tard, nous arrivions à une vaste excavation; je reconnus alors que la main de l’homme ne pouvait pas avoir creusé cette houillère; les voûtes en eussent été étançonnées, et véritablement elles ne se tenaient que par un miracle d’équilibre. Cette espèce de caverne comptait cent pieds de largeur sur cent cinquante de hauteur. Le terrain avait été violemment écarté par une commotion souterraine. Le massif terrestre, cédant à quelque puissante poussée, s’était disloqué, laissant ce large vide où des habitants de la terre pénétraient pour la première fois. Toute l’histoire de la période houillère était écrite sur ces sombres parois, et un géologue en pouvait suivre facilement les phases diverses. Les lits de charbon étaient séparés par des strates de grès ou d’argile compactes, et comme écrasés par les couches supérieures. À cet âge du monde qui précéda l’époque secondaire, la terre se recouvrit d’immenses végétations dues à la double action d’une chaleur tropicale et d’une humidité persistante. Une atmosphère de vapeurs enveloppait le globe de toutes parts, lui dérobant encore les rayons du soleil. De là cette conclusion que les hautes températures ne provenaient pas de ce foyer nouveau. Peut-être même l’astre du jour n’était-il pas prêt à jouer son rôle éclatant. Les «climats» n’existaient pas encore, et une chaleur torride se répandait à la surface entière du globe, égale à l’équateur et aux pôles. D’où venait-elle? De l’intérieur du globe. En dépit des théories du professeur Lidenbrock, un feu violent couvait dans les entrailles du sphéroïde; son action se faisait sentir jusqu’aux dernières couches de l’écorce terrestre; les plantes, privées des bienfaisantes effluves du soleil, ne donnaient ni fleurs ni parfums, mais leurs racines puisaient une vie forte dans les terrains brûlants des premiers jours. Il y avait peu d’arbres, des plantes herbacées seulement, d’immenses gazons, des fougères, des lycopodes, des sigillaires, des astérophyllites, familles rares dont les espèces se comptaient alors par milliers. Or c’est précisément à cette exubérante végétation que la houille doit son origine. L’écorce élastique du globe obéissait aux mouvements de la masse liquide qu’elle recouvrait. De là des fissures, des affaissements nombreux. Les plantes, entraînées sous les eaux, formèrent peu à peu des amas considérables. Alors intervint l’action de la chimie naturelle: au fond des mers, les masses végétales se firent tourbe d’abord; puis, grâce à l’influence des gaz et sous le feu de la fermentation, elles subirent une minéralisation complète. Ainsi se formèrent ces immenses couches de charbon qu’une consommation excessive doit, pourtant, épuiser en moins de trois siècles, si les peuples industriels n’y prennent garde. Ces réflexions me venaient à l’esprit pendant que je considérais les richesses houillères accumulées dans cette portion du massif terrestre. Celles-ci, sans doute, ne seront jamais mises à découvert. L’exploitation de ces mines reculées demanderait des sacrifices trop considérables. À quoi bon, d’ailleurs, quand la houille est répandue pour ainsi dire à la surface de la terre dans un grand nombre de contrées? Aussi, telles je voyais ces couches intactes, telles elles seraient encore lorsque sonnerait la dernière heure du monde. Cependant nous marchions, et seul de mes compagnons j’oubliais la longueur de la route pour me perdre au milieu de considérations géologiques. La température restait sensiblement ce qu’elle était pendant notre passage au milieu des laves et des schistes. Seulement, mon odorat était affecté par une odeur très-prononcée de protocarbure d’hydrogène. Je reconnus immédiatement dans cette galerie la présence d’une notable quantité de ce fluide dangereux auquel les mineurs ont donné le nom de grisou, et dont l’explosion a si souvent causé d’épouvantables catastrophes. Heureusement, nous étions éclairés par les ingénieux appareils de Ruhmkorff. Si, par malheur, nous avions imprudemment exploré cette galerie la torche à la main, une explosion terrible eût fini le voyage en supprimant les voyageurs. Cette excursion dans la houillère dura jusqu’au soir. Mon oncle contenait à peine l’impatience que lui causait l’horizontalité de la route. Les ténèbres, toujours profondes à vingt pas, empêchaient d’estimer la longueur de la galerie, et je commençai à la croire interminable, quand soudain, à six heures, un mur se présenta inopinément à nous. À droite, à gauche, en haut, en bas, il n’y avait aucun passage. Nous étions arrivés au fond d’une impasse. Le lendemain, le départ eut lieu de grand matin. Il fallait se hâter. Nous étions à cinq jours de marche du carrefour. Je ne m’appesantirai pas sur les souffrances de notre retour. Mon oncle les supporta avec la colère d’un homme qui ne se sent pas le plus fort; Hans, avec la résignation de sa nature pacifique; moi, je l’avoue, me plaignant et me désespérant; je ne pouvais avoir de cœur contre cette mauvaise fortune. Ainsi que je l’avais prévu, l’eau fit tout à fait défaut à la fin du premier jour de marche. Notre provision liquide se réduisit alors à du genièvre; mais cette infernale liqueur brûlait le gosier, et je ne pouvais même en supporter la vue. Je trouvais la température étouffante. La fatigue me paralysait. Plus d’une fois, je faillis tomber sans mouvement. On faisait halte alors; mon oncle ou l’Islandais me réconfortaient de leur mieux. Mais je voyais déjà que le premier réagissait péniblement contre l’extrême fatigue et les tortures nées de la privation d’eau. Enfin, le mardi 8 juillet, en nous traînant sur les genoux, sur les mains, nous arrivâmes à demi-morts au point de jonction des deux galeries. Là je demeurai comme une masse inerte, étendu sur le sol de lave. Il était dix heures du matin. Hans et mon oncle, accotés à la paroi, essayèrent de grignoter quelques morceaux de biscuit. De longs gémissements s’échappaient de mes lèvres tuméfiées. Je tombai dans un profond assoupissement. Au bout de quelque temps, mon oncle s’approcha de moi et me souleva entre ses bras: «Pauvre enfant!» murmura-t-il avec un véritable accent de pitié. Je fus touché de ces paroles, n’étant pas habitué aux tendresses du farouche professeur. Je saisis ses mains frémissantes dans les miennes. Il se laissa faire en me regardant. Ses yeux étaient humides. Je le vis alors prendre la gourde suspendue à son côté. À ma grande stupéfaction, il l’approcha de mes lèvres: «Bois,» fit-il. Avais-je bien entendu? Mon oncle était-il fou? Je le regardais d’un air hébété. Je ne voulais pas le comprendre. Et relevant la gourde, il la vida tout entière entre mes lèvres. «Bois,» reprit-il. Et relevant sa gourde, il la vida tout entière entre mes lèvres. Oh! jouissance infinie! une gorgée d’eau vint humecter ma bouche en feu, une seule, mais elle suffit à rappeler en moi la vie qui s’échappait. Je remerciai mon oncle en joignant les mains. Si peu que ma soif fût apaisée, j’avais cependant retrouvé quelque force. Les muscles de mon gosier, contractés jusqu’alors, se détendaient et l’inflammation de mes lèvres s’était adoucie. Je pouvais parler. «Voyons, dis-je, nous n’avons maintenant qu’un parti à prendre; l’eau nous manque; il faut revenir sur nos pas.» Pendant que je parlais ainsi, mon oncle évitait de me regarder; il baissait la tête; ses yeux fuyaient les miens. Il y eut un moment de silence assez long. Mon oncle parlait avec une extrême surexcitation. Sa voix, un instant attendrie, redevenait dure, menaçante. Il luttait avec une sombre énergie contre l’impossible! Je ne voulais pas l’abandonner au fond de cet abîme, et, d’un autre côté, l’instinct de la conservation me poussait à le fuir. Le guide suivait cette scène avec son indifférence accoutumée. Il comprenait cependant ce qui se passait entre ses deux compagnons. Nos gestes indiquaient assez la voie différente où chacun de nous essayait d’entraîner l’autre; mais Hans semblait s’intéresser peu à la question dans laquelle son existence se trouvait en jeu, prêt à partir si l’on donnait le signal du départ, prêt à rester à la moindre volonté de son maître. Que ne pouvais-je en cet instant me faire entendre de lui! Mes paroles, mes gémissements, mon accent auraient eu raison de cette froide nature. Ces dangers que le guide ne paraissait pas soupçonner, je les lui eusse fait comprendre et toucher du doigt. À nous deux nous aurions peut-être convaincu l’entêté professeur. Au besoin, nous l’aurions contraint à regagner les hauteurs du Sneffels! Je m’approchai de Hans. Je mis ma main sur la sienne. Il ne bougea pas. Je lui montrai la route du cratère. Il demeura immobile. Ma figure haletante disait toutes mes souffrances. L’Islandais remua doucement la tête, et désignant tranquillement mon oncle: Je me croisai les bras, en regardant mon oncle bien en face. «Le manque d’eau, dit-il, met seul obstacle à l’accomplissement de mes projets. Dans cette galerie de l’est, faite de laves, de schistes, de houilles, nous n’avons pas rencontré une seule molécule liquide. Il est possible que nous soyons plus heureux en suivant le tunnel de l’ouest.» Je secouai la tête avec un air de profonde incrédulité. «Écoute-moi jusqu’au bout, reprit le professeur en forçant la voix. Pendant-que tu gisais ici sans mouvement, j’ai été reconnaître la conformation de cette galerie. Elle s’enfonce directement dans les entrailles du globe, et, en peu d’heures, elle nous conduira au massif granitique. Là, nous devons rencontrer des sources abondantes. La nature de la roche le veut ainsi, et l’instinct est d’accord avec la logique pour appuyer ma conviction. Or, voici ce que j’ai à te proposer. Quand Colomb a demandé trois jours à ses équipages pour trouver les terres nouvelles, ses équipages, malades, épouvantés, ont cependant fait droit à sa demande, et il a découvert le nouveau monde. Moi, le Colomb de ces régions souterraines, je ne te demande qu’un jour encore. Si, ce temps écoulé, je n’ai pas rencontré l’eau qui nous manque, je te le jure, nous reviendrons à la surface de la terre.» En dépit de mon irritation je fus ému de ces paroles et de la violence que se faisait mon oncle pour tenir un pareil langage. «Eh bien! m’écriai-je, qu’il soit fait comme vous le désirez, et que Dieu récompense votre énergie surhumaine. Vous n’avez plus que quelques heures à tenter le sort! En route!» La descente recommença cette fois par la nouvelle galerie. Hans marchait en avant, selon son habitude. Nous n’avions pas fait cent pas, que le professeur, promenait sa lampe le long des murailles, s’écriait: «Voilà les terrains primitifs! nous sommes dans la bonne voie! Marchons! marchons! Lorsque la terre se refroidit peu à peu aux premiers jours du monde, la diminution de son volume produisit dans l’écorce des dislocations, des ruptures, des retraits, des fendilles. Le couloir actuel était une fissure de ce genre par laquelle s’épanchait autrefois le granit éruptif. Ses mille détours formaient un inextricable labyrinthe à travers le sol primordial. À mesure que nous descendions, la succession des couches composant le terrain primitif apparaissait avec plus de netteté. La science géologique considère ce terrain primitif comme la base de l’écorce minérale, et elle a reconnu qu’il se compose de trois couches différentes, les schistes, les gneiss, les micaschistes, reposant sur cette roche inébranlable qu’on appelle le granit. Or, jamais minéralogistes ne s’étaient rencontrés dans des circonstances aussi merveilleuses pour étudier la nature sur place. Ce que la sonde, machine inintelligente et brutale, ne pouvait rapporter à la surface du globe de sa texture interne, nous allions l’étudier de nos yeux, le toucher de nos mains. À travers l’étage des schistes, colorés de belles nuances vertes, serpentaient des filons métalliques de cuivre, de manganèse avec quelques traces de platine et d’or. Je songeais à ces richesses enfouies dans les entrailles du globe et dont l’avide humanité n’aura jamais la jouissance! Ces trésors, les bouleversements des premiers jours les ont enterrés à de telles profondeurs, que ni la pioche ni le pic ne sauront les arracher à leur tombeau. Aux schistes succédèrent les gneiss, d’une structure stratiforme, remarquables par la régularité et le parallélisme de leurs feuillets, puis les micaschistes disposés en grandes lamelles rehaussées à l’œil par les scintillations du mica blanc. Je m’imaginais voyager à travers un diamant. La lumière des appareils, répercutée par les petites facettes de la masse rocheuse, croisait ses jets de feu sous tous les angles, et je m’imaginais voyager à travers un diamant creux, dans lequel les rayons se brisaient en mille éblouissements. Vers six heures du soir, cette fête de la lumière vint à diminuer sensiblement, presque à cesser; les parois prirent une teinte cristallisée, mais sombre; le mica se mélangea plus intimement au feldspath et au quartz, pour former la roche par excellence, la pierre dure entre toutes, celle qui supporte, sans en être écrasée, les quatre étages de terrain du globe. Nous étions murés dans l’immense prison de granit. Il était huit heures du soir. L’eau manquait toujours. Je souffrais horriblement. Mon oncle marchait en avant. Il ne voulait pas s’arrêter. Il tendait l’oreille pour surprendre les murmures de quelque source. Mais rien! Cependant mes jambes refusaient de me porter. Je résistais à mes tortures pour ne pas obliger mon oncle à faire halte. C’eût été pour lui le coup du désespoir, car la journée finissait, la dernière qui lui appartînt. Enfin mes forces m’abandonnèrent. Je poussai un cri et je tombai. «À moi! je meurs!» Mon oncle revint sur ses pas. Il me considéra en croisant ses bras; puis ces paroles sourdes sortirent de ses lèvres: «Tout est fini!» Un effrayant geste de colère frappa une dernière fois mes regards, et je fermai les yeux. Lorsque je les rouvris, j’aperçus mes deux compagnons immobiles et roulés dans leur couverture. Dormaient-ils? Pour mon compte, je ne pouvais trouver un instant de sommeil. Je souffrais trop, et surtout de la pensée que mon mal devait être sans remède. Les dernières paroles de mon oncle retentissaient dans mon oreille. «Tout était fini!» car, dans un pareil état de faiblesse, il ne fallait même pas songer à regagner la surface du globe. Il y avait une lieue et demie d’écorce terrestre! Il me semblait que cette masse pesait de tout son poids sur mes épaules. Je me sentais écrasé, et je m’épuisais en efforts violents pour me retourner sur ma couche de granit. Quelques heures se passèrent. Un silence profond régnait autour de nous, un silence de tombeau. Rien n’arrivait à travers ces murailles dont la plus mince mesurait cinq milles d’épaisseur. Cependant, au milieu de mon assoupissement, je crus entendre un bruit. L’obscurité se faisait dans le tunnel. Je regardai plus attentivement, et il me sembla voir l’Islandais qui disparaissait, la lampe à la main. Pourquoi ce départ? Hans nous abandonnait-il? Mon oncle dormait. Je voulus crier. Ma voix ne put trouver passage entre mes lèvres desséchées. L’obscurité était devenue profonde, et les derniers bruits venaient de s’éteindre. «Hans nous abandonne! m’écriai-je. Hans! Hans!» Ces mots, je les criais en moi-même. Ils n’allaient pas plus loin. Cependant, après le premier instant de terreur, j’eus honte de mes soupçons contre un homme dont la conduite n’avait rien eu jusque-là de suspect. Son départ ne pouvait être une fuite. Au lieu de remonter la galerie, il la descendait. De mauvais desseins l’eussent entraîné en haut, non en bas. Ce raisonnement me calma un peu, et je revins à un autre ordre d’idées. Hans, cet homme paisible, un motif grave avait pu seul l’arracher à son repos. Allait-il donc à la découverte? Avait-il entendu pendant la nuit silencieuse quelque murmure dont la perception n’était pas arrivée jusqu’à moi?GALERIE
En effet, il fallut se rationner. Notre provision ne pouvait durer plus de trois jours. C’est ce que je reconnus le soir au moment du souper. Et, fâcheuse expectative, nous avions peu d’espoir de rencontrer quelque source vive dans ces terrains de l’époque de transition. Pendant toute la journée du lendemain, la galerie déroula devant nos pas ses interminables arceaux. Nous marchions presque sans mot dire. Le mutisme de Hans nous gagnait. La route ne montait pas, du moins d’une façon sensible. Parfois même elle semblait s’incliner. Mais cette tendance, peu marquée d’ailleurs, ne devait pas rassurer le professeur, car la nature des couches ne se modifiait pas, et la période de transition s’affirmait davantage. La lumière électrique faisait splendidement étinceler les schistes, le calcaire et les vieux grès rouges des parois. On aurait pu se croire dans une tranchée ouverte au milieu du Devonshire, qui donna son nom à ce genre de terrains. Des spécimens de marbres magnifiques revêtaient les murailles, les uns, d’un gris agate avec des veines blanches capricieusement accusées, les autres, de couleur incarnat ou d’un jaune taché de plaques rouges; plus loin, des échantillons de ces griottes à couleurs sombres, dans lesquels le calcaire se relevait en nuances vives. La plupart de ces marbres offraient des empreintes d’animaux primitifs. Depuis la veille, la création avait fait un progrès évident. Au lieu des trilobites rudimentaires, j’apercevais des débris d’un ordre plus parfait; entre autres, des poissons Ganoïdes et ces Sauropteris dans lesquels l’œil du paléontologiste a su découvrir les premières formes du reptile. Les mers dévoniennes étaient habitées par un grand nombre d’animaux de cette espèce, et elles les déposèrent par milliers sur les roches de nouvelle formation. Il devenait évident que nous remontions l’échelle de la vie animale dont l’homme occupe le sommet. Mais le professeur Lidenbrock ne paraissait pas y prendre garde. Il attendait deux choses: ou qu’un puits vertical vînt à s’ouvrir sous ses pieds et lui permettre de reprendre sa descente, ou qu’un obstacle l’empêchât de continuer cette route. Mais le soir arriva sans que cette espérance se fût réalisée. Le vendredi, après une nuit pendant laquelle je commençai à ressentir les tourments de la soif, notre petite troupe s’enfonça de nouveau dans les détours de la galerie. Après dix heures de marche, je remarquai que la réverbération de nos lampes sur les parois diminuait singulièrement. Le marbre, le schiste, le calcaire, les grès des murailles faisaient place à un revêtement sombre et sans éclat. À un moment où le tunnel devenait fort étroit, je m’appuyai sur sa paroi de gauche. Quand je retirai ma main, elle était entièrement noire. Je regardai de plus près. Nous étions en pleine houillère. Hans prépara quelques aliments. Je mangeai à peine, et je bus les quelques gouttes d’eau qui formaient ma ration. La gourde du guide à demi-pleine, voilà tout ce qui restait pour désaltérer trois hommes. Après leur repas, mes deux compagnons s’étendirent sur leurs couvertures et trouvèrent dans le sommeil un remède à leurs fatigues. Pour moi, je ne pus dormir, et je comptai les heures jusqu’au matin. Le samedi, à six heures, on repartit. Vingt minutes plus tard, nous arrivions à une vaste excavation; je reconnus alors que la main de l’homme ne pouvait pas avoir creusé cette houillère; les voûtes en eussent été étançonnées, et véritablement elles ne se tenaient que par un miracle d’équilibre. Cette espèce de caverne comptait cent pieds de largeur sur cent cinquante de hauteur. Le terrain avait été violemment écarté par une commotion souterraine. Le massif terrestre, cédant à quelque puissante poussée, s’était disloqué, laissant ce large vide où des habitants de la terre pénétraient pour la première fois. Toute l’histoire de la période houillère était écrite sur ces sombres parois, et un géologue en pouvait suivre facilement les phases diverses. Les lits de charbon étaient séparés par des strates de grès ou d’argile compactes, et comme écrasés par les couches supérieures. À cet âge du monde qui précéda l’époque secondaire, la terre se recouvrit d’immenses végétations dues à la double action d’une chaleur tropicale et d’une humidité persistante. Une atmosphère de vapeurs enveloppait le globe de toutes parts, lui dérobant encore les rayons du soleil. De là cette conclusion que les hautes températures ne provenaient pas de ce foyer nouveau. Peut-être même l’astre du jour n’était-il pas prêt à jouer son rôle éclatant. Les «climats» n’existaient pas encore, et une chaleur torride se répandait à la surface entière du globe, égale à l’équateur et aux pôles. D’où venait-elle? De l’intérieur du globe. En dépit des théories du professeur Lidenbrock, un feu violent couvait dans les entrailles du sphéroïde; son action se faisait sentir jusqu’aux dernières couches de l’écorce terrestre; les plantes, privées des bienfaisantes effluves du soleil, ne donnaient ni fleurs ni parfums, mais leurs racines puisaient une vie forte dans les terrains brûlants des premiers jours. Il y avait peu d’arbres, des plantes herbacées seulement, d’immenses gazons, des fougères, des lycopodes, des sigillaires, des astérophyllites, familles rares dont les espèces se comptaient alors par milliers. Or c’est précisément à cette exubérante végétation que la houille doit son origine. L’écorce élastique du globe obéissait aux mouvements de la masse liquide qu’elle recouvrait. De là des fissures, des affaissements nombreux. Les plantes, entraînées sous les eaux, formèrent peu à peu des amas considérables. Alors intervint l’action de la chimie naturelle: au fond des mers, les masses végétales se firent tourbe d’abord; puis, grâce à l’influence des gaz et sous le feu de la fermentation, elles subirent une minéralisation complète. Ainsi se formèrent ces immenses couches de charbon qu’une consommation excessive doit, pourtant, épuiser en moins de trois siècles, si les peuples industriels n’y prennent garde. Ces réflexions me venaient à l’esprit pendant que je considérais les richesses houillères accumulées dans cette portion du massif terrestre. Celles-ci, sans doute, ne seront jamais mises à découvert. L’exploitation de ces mines reculées demanderait des sacrifices trop considérables. À quoi bon, d’ailleurs, quand la houille est répandue pour ainsi dire à la surface de la terre dans un grand nombre de contrées? Aussi, telles je voyais ces couches intactes, telles elles seraient encore lorsque sonnerait la dernière heure du monde. Cependant nous marchions, et seul de mes compagnons j’oubliais la longueur de la route pour me perdre au milieu de considérations géologiques. La température restait sensiblement ce qu’elle était pendant notre passage au milieu des laves et des schistes. Seulement, mon odorat était affecté par une odeur très-prononcée de protocarbure d’hydrogène. Je reconnus immédiatement dans cette galerie la présence d’une notable quantité de ce fluide dangereux auquel les mineurs ont donné le nom de grisou, et dont l’explosion a si souvent causé d’épouvantables catastrophes. Heureusement, nous étions éclairés par les ingénieux appareils de Ruhmkorff. Si, par malheur, nous avions imprudemment exploré cette galerie la torche à la main, une explosion terrible eût fini le voyage en supprimant les voyageurs. Cette excursion dans la houillère dura jusqu’au soir. Mon oncle contenait à peine l’impatience que lui causait l’horizontalité de la route. Les ténèbres, toujours profondes à vingt pas, empêchaient d’estimer la longueur de la galerie, et je commençai à la croire interminable, quand soudain, à six heures, un mur se présenta inopinément à nous. À droite, à gauche, en haut, en bas, il n’y avait aucun passage. Nous étions arrivés au fond d’une impasse. Le lendemain, le départ eut lieu de grand matin. Il fallait se hâter. Nous étions à cinq jours de marche du carrefour. Je ne m’appesantirai pas sur les souffrances de notre retour. Mon oncle les supporta avec la colère d’un homme qui ne se sent pas le plus fort; Hans, avec la résignation de sa nature pacifique; moi, je l’avoue, me plaignant et me désespérant; je ne pouvais avoir de cœur contre cette mauvaise fortune. Ainsi que je l’avais prévu, l’eau fit tout à fait défaut à la fin du premier jour de marche. Notre provision liquide se réduisit alors à du genièvre; mais cette infernale liqueur brûlait le gosier, et je ne pouvais même en supporter la vue. Je trouvais la température étouffante. La fatigue me paralysait. Plus d’une fois, je faillis tomber sans mouvement. On faisait halte alors; mon oncle ou l’Islandais me réconfortaient de leur mieux. Mais je voyais déjà que le premier réagissait péniblement contre l’extrême fatigue et les tortures nées de la privation d’eau. Enfin, le mardi 8 juillet, en nous traînant sur les genoux, sur les mains, nous arrivâmes à demi-morts au point de jonction des deux galeries. Là je demeurai comme une masse inerte, étendu sur le sol de lave. Il était dix heures du matin. Hans et mon oncle, accotés à la paroi, essayèrent de grignoter quelques morceaux de biscuit. De longs gémissements s’échappaient de mes lèvres tuméfiées. Je tombai dans un profond assoupissement. Au bout de quelque temps, mon oncle s’approcha de moi et me souleva entre ses bras: «Pauvre enfant!» murmura-t-il avec un véritable accent de pitié. Je fus touché de ces paroles, n’étant pas habitué aux tendresses du farouche professeur. Je saisis ses mains frémissantes dans les miennes. Il se laissa faire en me regardant. Ses yeux étaient humides. Je le vis alors prendre la gourde suspendue à son côté. À ma grande stupéfaction, il l’approcha de mes lèvres: «Bois,» fit-il. Avais-je bien entendu? Mon oncle était-il fou? Je le regardais d’un air hébété. Je ne voulais pas le comprendre. Et relevant la gourde, il la vida tout entière entre mes lèvres. «Bois,» reprit-il. Et relevant sa gourde, il la vida tout entière entre mes lèvres. Oh! jouissance infinie! une gorgée d’eau vint humecter ma bouche en feu, une seule, mais elle suffit à rappeler en moi la vie qui s’échappait. Je remerciai mon oncle en joignant les mains. Si peu que ma soif fût apaisée, j’avais cependant retrouvé quelque force. Les muscles de mon gosier, contractés jusqu’alors, se détendaient et l’inflammation de mes lèvres s’était adoucie. Je pouvais parler. «Voyons, dis-je, nous n’avons maintenant qu’un parti à prendre; l’eau nous manque; il faut revenir sur nos pas.» Pendant que je parlais ainsi, mon oncle évitait de me regarder; il baissait la tête; ses yeux fuyaient les miens. Il y eut un moment de silence assez long. Mon oncle parlait avec une extrême surexcitation. Sa voix, un instant attendrie, redevenait dure, menaçante. Il luttait avec une sombre énergie contre l’impossible! Je ne voulais pas l’abandonner au fond de cet abîme, et, d’un autre côté, l’instinct de la conservation me poussait à le fuir. Le guide suivait cette scène avec son indifférence accoutumée. Il comprenait cependant ce qui se passait entre ses deux compagnons. Nos gestes indiquaient assez la voie différente où chacun de nous essayait d’entraîner l’autre; mais Hans semblait s’intéresser peu à la question dans laquelle son existence se trouvait en jeu, prêt à partir si l’on donnait le signal du départ, prêt à rester à la moindre volonté de son maître. Que ne pouvais-je en cet instant me faire entendre de lui! Mes paroles, mes gémissements, mon accent auraient eu raison de cette froide nature. Ces dangers que le guide ne paraissait pas soupçonner, je les lui eusse fait comprendre et toucher du doigt. À nous deux nous aurions peut-être convaincu l’entêté professeur. Au besoin, nous l’aurions contraint à regagner les hauteurs du Sneffels! Je m’approchai de Hans. Je mis ma main sur la sienne. Il ne bougea pas. Je lui montrai la route du cratère. Il demeura immobile. Ma figure haletante disait toutes mes souffrances. L’Islandais remua doucement la tête, et désignant tranquillement mon oncle: Je me croisai les bras, en regardant mon oncle bien en face. «Le manque d’eau, dit-il, met seul obstacle à l’accomplissement de mes projets. Dans cette galerie de l’est, faite de laves, de schistes, de houilles, nous n’avons pas rencontré une seule molécule liquide. Il est possible que nous soyons plus heureux en suivant le tunnel de l’ouest.» Je secouai la tête avec un air de profonde incrédulité. «Écoute-moi jusqu’au bout, reprit le professeur en forçant la voix. Pendant-que tu gisais ici sans mouvement, j’ai été reconnaître la conformation de cette galerie. Elle s’enfonce directement dans les entrailles du globe, et, en peu d’heures, elle nous conduira au massif granitique. Là, nous devons rencontrer des sources abondantes. La nature de la roche le veut ainsi, et l’instinct est d’accord avec la logique pour appuyer ma conviction. Or, voici ce que j’ai à te proposer. Quand Colomb a demandé trois jours à ses équipages pour trouver les terres nouvelles, ses équipages, malades, épouvantés, ont cependant fait droit à sa demande, et il a découvert le nouveau monde. Moi, le Colomb de ces régions souterraines, je ne te demande qu’un jour encore. Si, ce temps écoulé, je n’ai pas rencontré l’eau qui nous manque, je te le jure, nous reviendrons à la surface de la terre.» En dépit de mon irritation je fus ému de ces paroles et de la violence que se faisait mon oncle pour tenir un pareil langage. «Eh bien! m’écriai-je, qu’il soit fait comme vous le désirez, et que Dieu récompense votre énergie surhumaine. Vous n’avez plus que quelques heures à tenter le sort! En route!» La descente recommença cette fois par la nouvelle galerie. Hans marchait en avant, selon son habitude. Nous n’avions pas fait cent pas, que le professeur, promenait sa lampe le long des murailles, s’écriait: «Voilà les terrains primitifs! nous sommes dans la bonne voie! Marchons! marchons! Lorsque la terre se refroidit peu à peu aux premiers jours du monde, la diminution de son volume produisit dans l’écorce des dislocations, des ruptures, des retraits, des fendilles. Le couloir actuel était une fissure de ce genre par laquelle s’épanchait autrefois le granit éruptif. Ses mille détours formaient un inextricable labyrinthe à travers le sol primordial. À mesure que nous descendions, la succession des couches composant le terrain primitif apparaissait avec plus de netteté. La science géologique considère ce terrain primitif comme la base de l’écorce minérale, et elle a reconnu qu’il se compose de trois couches différentes, les schistes, les gneiss, les micaschistes, reposant sur cette roche inébranlable qu’on appelle le granit. Or, jamais minéralogistes ne s’étaient rencontrés dans des circonstances aussi merveilleuses pour étudier la nature sur place. Ce que la sonde, machine inintelligente et brutale, ne pouvait rapporter à la surface du globe de sa texture interne, nous allions l’étudier de nos yeux, le toucher de nos mains. À travers l’étage des schistes, colorés de belles nuances vertes, serpentaient des filons métalliques de cuivre, de manganèse avec quelques traces de platine et d’or. Je songeais à ces richesses enfouies dans les entrailles du globe et dont l’avide humanité n’aura jamais la jouissance! Ces trésors, les bouleversements des premiers jours les ont enterrés à de telles profondeurs, que ni la pioche ni le pic ne sauront les arracher à leur tombeau. Aux schistes succédèrent les gneiss, d’une structure stratiforme, remarquables par la régularité et le parallélisme de leurs feuillets, puis les micaschistes disposés en grandes lamelles rehaussées à l’œil par les scintillations du mica blanc. Je m’imaginais voyager à travers un diamant. La lumière des appareils, répercutée par les petites facettes de la masse rocheuse, croisait ses jets de feu sous tous les angles, et je m’imaginais voyager à travers un diamant creux, dans lequel les rayons se brisaient en mille éblouissements. Vers six heures du soir, cette fête de la lumière vint à diminuer sensiblement, presque à cesser; les parois prirent une teinte cristallisée, mais sombre; le mica se mélangea plus intimement au feldspath et au quartz, pour former la roche par excellence, la pierre dure entre toutes, celle qui supporte, sans en être écrasée, les quatre étages de terrain du globe. Nous étions murés dans l’immense prison de granit. Il était huit heures du soir. L’eau manquait toujours. Je souffrais horriblement. Mon oncle marchait en avant. Il ne voulait pas s’arrêter. Il tendait l’oreille pour surprendre les murmures de quelque source. Mais rien! Cependant mes jambes refusaient de me porter. Je résistais à mes tortures pour ne pas obliger mon oncle à faire halte. C’eût été pour lui le coup du désespoir, car la journée finissait, la dernière qui lui appartînt. Enfin mes forces m’abandonnèrent. Je poussai un cri et je tombai. «À moi! je meurs!» Mon oncle revint sur ses pas. Il me considéra en croisant ses bras; puis ces paroles sourdes sortirent de ses lèvres: «Tout est fini!» Un effrayant geste de colère frappa une dernière fois mes regards, et je fermai les yeux. Lorsque je les rouvris, j’aperçus mes deux compagnons immobiles et roulés dans leur couverture. Dormaient-ils? Pour mon compte, je ne pouvais trouver un instant de sommeil. Je souffrais trop, et surtout de la pensée que mon mal devait être sans remède. Les dernières paroles de mon oncle retentissaient dans mon oreille. «Tout était fini!» car, dans un pareil état de faiblesse, il ne fallait même pas songer à regagner la surface du globe. Il y avait une lieue et demie d’écorce terrestre! Il me semblait que cette masse pesait de tout son poids sur mes épaules. Je me sentais écrasé, et je m’épuisais en efforts violents pour me retourner sur ma couche de granit. Quelques heures se passèrent. Un silence profond régnait autour de nous, un silence de tombeau. Rien n’arrivait à travers ces murailles dont la plus mince mesurait cinq milles d’épaisseur. Cependant, au milieu de mon assoupissement, je crus entendre un bruit. L’obscurité se faisait dans le tunnel. Je regardai plus attentivement, et il me sembla voir l’Islandais qui disparaissait, la lampe à la main. Pourquoi ce départ? Hans nous abandonnait-il? Mon oncle dormait. Je voulus crier. Ma voix ne put trouver passage entre mes lèvres desséchées. L’obscurité était devenue profonde, et les derniers bruits venaient de s’éteindre. «Hans nous abandonne! m’écriai-je. Hans! Hans!» Ces mots, je les criais en moi-même. Ils n’allaient pas plus loin. Cependant, après le premier instant de terreur, j’eus honte de mes soupçons contre un homme dont la conduite n’avait rien eu jusque-là de suspect. Son départ ne pouvait être une fuite. Au lieu de remonter la galerie, il la descendait. De mauvais desseins l’eussent entraîné en haut, non en bas. Ce raisonnement me calma un peu, et je revins à un autre ordre d’idées. Hans, cet homme paisible, un motif grave avait pu seul l’arracher à son repos. Allait-il donc à la découverte? Avait-il entendu pendant la nuit silencieuse quelque murmure dont la perception n’était pas arrivée jusqu’à moi?En effet,
Notre provision ne pouvait durer plus de trois jours. C’est ce que je reconnus le soir au moment du souper. Et, fâcheuse expectative, nous avions peu d’espoir de rencontrer quelque source vive dans ces terrains de l’époque de transition. Pendant toute la journée du lendemain, la galerie déroula devant nos pas ses interminables arceaux. Nous marchions presque sans mot dire. Le mutisme de Hans nous gagnait. La route ne montait pas, du moins d’une façon sensible. Parfois même elle semblait s’incliner. Mais cette tendance, peu marquée d’ailleurs, ne devait pas rassurer le professeur, car la nature des couches ne se modifiait pas, et la période de transition s’affirmait davantage. La lumière électrique faisait splendidement étinceler les schistes, le calcaire et les vieux grès rouges des parois. On aurait pu se croire dans une tranchée ouverte au milieu du Devonshire, qui donna son nom à ce genre de terrains. Des spécimens de marbres magnifiques revêtaient les murailles, les uns, d’un gris agate avec des veines blanches capricieusement accusées, les autres, de couleur incarnat ou d’un jaune taché de plaques rouges; plus loin, des échantillons de ces griottes à couleurs sombres, dans lesquels le calcaire se relevait en nuances vives. La plupart de ces marbres offraient des empreintes d’animaux primitifs. Depuis la veille, la création avait fait un progrès évident. Au lieu des trilobites rudimentaires, j’apercevais des débris d’un ordre plus parfait; entre autres, des poissons Ganoïdes et ces Sauropteris dans lesquels l’œil du paléontologiste a su découvrir les premières formes du reptile. Les mers dévoniennes étaient habitées par un grand nombre d’animaux de cette espèce, et elles les déposèrent par milliers sur les roches de nouvelle formation. Il devenait évident que nous remontions l’échelle de la vie animale dont l’homme occupe le sommet. Mais le professeur Lidenbrock ne paraissait pas y prendre garde. Il attendait deux choses: ou qu’un puits vertical vînt à s’ouvrir sous ses pieds et lui permettre de reprendre sa descente, ou qu’un obstacle l’empêchât de continuer cette route. Mais le soir arriva sans que cette espérance se fût réalisée. Le vendredi, après une nuit pendant laquelle je commençai à ressentir les tourments de la soif, notre petite troupe s’enfonça de nouveau dans les détours de la galerie. Après dix heures de marche, je remarquai que la réverbération de nos lampes sur les parois diminuait singulièrement. Le marbre, le schiste, le calcaire, les grès des murailles faisaient place à un revêtement sombre et sans éclat. À un moment où le tunnel devenait fort étroit, je m’appuyai sur sa paroi de gauche. Quand je retirai ma main, elle était entièrement noire. Je regardai de plus près. Nous étions en pleine houillère. Hans prépara quelques aliments. Je mangeai à peine, et je bus les quelques gouttes d’eau qui formaient ma ration. La gourde du guide à demi-pleine, voilà tout ce qui restait pour désaltérer trois hommes. Après leur repas, mes deux compagnons s’étendirent sur leurs couvertures et trouvèrent dans le sommeil un remède à leurs fatigues. Pour moi, je ne pus dormir, et je comptai les heures jusqu’au matin. Le samedi, à six heures, on repartit. Vingt minutes plus tard, nous arrivions à une vaste excavation; je reconnus alors que la main de l’homme ne pouvait pas avoir creusé cette houillère; les voûtes en eussent été étançonnées, et véritablement elles ne se tenaient que par un miracle d’équilibre. Cette espèce de caverne comptait cent pieds de largeur sur cent cinquante de hauteur. Le terrain avait été violemment écarté par une commotion souterraine. Le massif terrestre, cédant à quelque puissante poussée, s’était disloqué, laissant ce large vide où des habitants de la terre pénétraient pour la première fois. Toute l’histoire de la période houillère était écrite sur ces sombres parois, et un géologue en pouvait suivre facilement les phases diverses. Les lits de charbon étaient séparés par des strates de grès ou d’argile compactes, et comme écrasés par les couches supérieures. À cet âge du monde qui précéda l’époque secondaire, la terre se recouvrit d’immenses végétations dues à la double action d’une chaleur tropicale et d’une humidité persistante. Une atmosphère de vapeurs enveloppait le globe de toutes parts, lui dérobant encore les rayons du soleil. De là cette conclusion que les hautes températures ne provenaient pas de ce foyer nouveau. Peut-être même l’astre du jour n’était-il pas prêt à jouer son rôle éclatant. Les «climats» n’existaient pas encore, et une chaleur torride se répandait à la surface entière du globe, égale à l’équateur et aux pôles. D’où venait-elle? De l’intérieur du globe. En dépit des théories du professeur Lidenbrock, un feu violent couvait dans les entrailles du sphéroïde; son action se faisait sentir jusqu’aux dernières couches de l’écorce terrestre; les plantes, privées des bienfaisantes effluves du soleil, ne donnaient ni fleurs ni parfums, mais leurs racines puisaient une vie forte dans les terrains brûlants des premiers jours. Il y avait peu d’arbres, des plantes herbacées seulement, d’immenses gazons, des fougères, des lycopodes, des sigillaires, des astérophyllites, familles rares dont les espèces se comptaient alors par milliers. Or c’est précisément à cette exubérante végétation que la houille doit son origine. L’écorce élastique du globe obéissait aux mouvements de la masse liquide qu’elle recouvrait. De là des fissures, des affaissements nombreux. Les plantes, entraînées sous les eaux, formèrent peu à peu des amas considérables. Alors intervint l’action de la chimie naturelle: au fond des mers, les masses végétales se firent tourbe d’abord; puis, grâce à l’influence des gaz et sous le feu de la fermentation, elles subirent une minéralisation complète. Ainsi se formèrent ces immenses couches de charbon qu’une consommation excessive doit, pourtant, épuiser en moins de trois siècles, si les peuples industriels n’y prennent garde. Ces réflexions me venaient à l’esprit pendant que je considérais les richesses houillères accumulées dans cette portion du massif terrestre. Celles-ci, sans doute, ne seront jamais mises à découvert. L’exploitation de ces mines reculées demanderait des sacrifices trop considérables. À quoi bon, d’ailleurs, quand la houille est répandue pour ainsi dire à la surface de la terre dans un grand nombre de contrées? Aussi, telles je voyais ces couches intactes, telles elles seraient encore lorsque sonnerait la dernière heure du monde. Cependant nous marchions, et seul de mes compagnons j’oubliais la longueur de la route pour me perdre au milieu de considérations géologiques. La température restait sensiblement ce qu’elle était pendant notre passage au milieu des laves et des schistes. Seulement, mon odorat était affecté par une odeur très-prononcée de protocarbure d’hydrogène. Je reconnus immédiatement dans cette galerie la présence d’une notable quantité de ce fluide dangereux auquel les mineurs ont donné le nom de grisou, et dont l’explosion a si souvent causé d’épouvantables catastrophes. Heureusement, nous étions éclairés par les ingénieux appareils de Ruhmkorff. Si, par malheur, nous avions imprudemment exploré cette galerie la torche à la main, une explosion terrible eût fini le voyage en supprimant les voyageurs. Cette excursion dans la houillère dura jusqu’au soir. Mon oncle contenait à peine l’impatience que lui causait l’horizontalité de la route. Les ténèbres, toujours profondes à vingt pas, empêchaient d’estimer la longueur de la galerie, et je commençai à la croire interminable, quand soudain, à six heures, un mur se présenta inopinément à nous. À droite, à gauche, en haut, en bas, il n’y avait aucun passage. Nous étions arrivés au fond d’une impasse. Le lendemain, le départ eut lieu de grand matin. Il fallait se hâter. Nous étions à cinq jours de marche du carrefour. Je ne m’appesantirai pas sur les souffrances de notre retour. Mon oncle les supporta avec la colère d’un homme qui ne se sent pas le plus fort; Hans, avec la résignation de sa nature pacifique; moi, je l’avoue, me plaignant et me désespérant; je ne pouvais avoir de cœur contre cette mauvaise fortune. Ainsi que je l’avais prévu, l’eau fit tout à fait défaut à la fin du premier jour de marche. Notre provision liquide se réduisit alors à du genièvre; mais cette infernale liqueur brûlait le gosier, et je ne pouvais même en supporter la vue. Je trouvais la température étouffante. La fatigue me paralysait. Plus d’une fois, je faillis tomber sans mouvement. On faisait halte alors; mon oncle ou l’Islandais me réconfortaient de leur mieux. Mais je voyais déjà que le premier réagissait péniblement contre l’extrême fatigue et les tortures nées de la privation d’eau. Enfin, le mardi 8 juillet, en nous traînant sur les genoux, sur les mains, nous arrivâmes à demi-morts au point de jonction des deux galeries. Là je demeurai comme une masse inerte, étendu sur le sol de lave. Il était dix heures du matin. Hans et mon oncle, accotés à la paroi, essayèrent de grignoter quelques morceaux de biscuit. De longs gémissements s’échappaient de mes lèvres tuméfiées. Je tombai dans un profond assoupissement. Au bout de quelque temps, mon oncle s’approcha de moi et me souleva entre ses bras: «Pauvre enfant!» murmura-t-il avec un véritable accent de pitié. Je fus touché de ces paroles, n’étant pas habitué aux tendresses du farouche professeur. Je saisis ses mains frémissantes dans les miennes. Il se laissa faire en me regardant. Ses yeux étaient humides. Je le vis alors prendre la gourde suspendue à son côté. À ma grande stupéfaction, il l’approcha de mes lèvres: «Bois,» fit-il. Avais-je bien entendu? Mon oncle était-il fou? Je le regardais d’un air hébété. Je ne voulais pas le comprendre. Et relevant la gourde, il la vida tout entière entre mes lèvres. «Bois,» reprit-il. Et relevant sa gourde, il la vida tout entière entre mes lèvres. Oh! jouissance infinie! une gorgée d’eau vint humecter ma bouche en feu, une seule, mais elle suffit à rappeler en moi la vie qui s’échappait. Je remerciai mon oncle en joignant les mains. Si peu que ma soif fût apaisée, j’avais cependant retrouvé quelque force. Les muscles de mon gosier, contractés jusqu’alors, se détendaient et l’inflammation de mes lèvres s’était adoucie. Je pouvais parler. «Voyons, dis-je, nous n’avons maintenant qu’un parti à prendre; l’eau nous manque; il faut revenir sur nos pas.» Pendant que je parlais ainsi, mon oncle évitait de me regarder; il baissait la tête; ses yeux fuyaient les miens. Il y eut un moment de silence assez long. Mon oncle parlait avec une extrême surexcitation. Sa voix, un instant attendrie, redevenait dure, menaçante. Il luttait avec une sombre énergie contre l’impossible! Je ne voulais pas l’abandonner au fond de cet abîme, et, d’un autre côté, l’instinct de la conservation me poussait à le fuir. Le guide suivait cette scène avec son indifférence accoutumée. Il comprenait cependant ce qui se passait entre ses deux compagnons. Nos gestes indiquaient assez la voie différente où chacun de nous essayait d’entraîner l’autre; mais Hans semblait s’intéresser peu à la question dans laquelle son existence se trouvait en jeu, prêt à partir si l’on donnait le signal du départ, prêt à rester à la moindre volonté de son maître. Que ne pouvais-je en cet instant me faire entendre de lui! Mes paroles, mes gémissements, mon accent auraient eu raison de cette froide nature. Ces dangers que le guide ne paraissait pas soupçonner, je les lui eusse fait comprendre et toucher du doigt. À nous deux nous aurions peut-être convaincu l’entêté professeur. Au besoin, nous l’aurions contraint à regagner les hauteurs du Sneffels! Je m’approchai de Hans. Je mis ma main sur la sienne. Il ne bougea pas. Je lui montrai la route du cratère. Il demeura immobile. Ma figure haletante disait toutes mes souffrances. L’Islandais remua doucement la tête, et désignant tranquillement mon oncle: Je me croisai les bras, en regardant mon oncle bien en face. «Le manque d’eau, dit-il, met seul obstacle à l’accomplissement de mes projets. Dans cette galerie de l’est, faite de laves, de schistes, de houilles, nous n’avons pas rencontré une seule molécule liquide. Il est possible que nous soyons plus heureux en suivant le tunnel de l’ouest.» Je secouai la tête avec un air de profonde incrédulité. «Écoute-moi jusqu’au bout, reprit le professeur en forçant la voix. Pendant-que tu gisais ici sans mouvement, j’ai été reconnaître la conformation de cette galerie. Elle s’enfonce directement dans les entrailles du globe, et, en peu d’heures, elle nous conduira au massif granitique. Là, nous devons rencontrer des sources abondantes. La nature de la roche le veut ainsi, et l’instinct est d’accord avec la logique pour appuyer ma conviction. Or, voici ce que j’ai à te proposer. Quand Colomb a demandé trois jours à ses équipages pour trouver les terres nouvelles, ses équipages, malades, épouvantés, ont cependant fait droit à sa demande, et il a découvert le nouveau monde. Moi, le Colomb de ces régions souterraines, je ne te demande qu’un jour encore. Si, ce temps écoulé, je n’ai pas rencontré l’eau qui nous manque, je te le jure, nous reviendrons à la surface de la terre.» En dépit de mon irritation je fus ému de ces paroles et de la violence que se faisait mon oncle pour tenir un pareil langage. «Eh bien! m’écriai-je, qu’il soit fait comme vous le désirez, et que Dieu récompense votre énergie surhumaine. Vous n’avez plus que quelques heures à tenter le sort! En route!» La descente recommença cette fois par la nouvelle galerie. Hans marchait en avant, selon son habitude. Nous n’avions pas fait cent pas, que le professeur, promenait sa lampe le long des murailles, s’écriait: «Voilà les terrains primitifs! nous sommes dans la bonne voie! Marchons! marchons! Lorsque la terre se refroidit peu à peu aux premiers jours du monde, la diminution de son volume produisit dans l’écorce des dislocations, des ruptures, des retraits, des fendilles. Le couloir actuel était une fissure de ce genre par laquelle s’épanchait autrefois le granit éruptif. Ses mille détours formaient un inextricable labyrinthe à travers le sol primordial. À mesure que nous descendions, la succession des couches composant le terrain primitif apparaissait avec plus de netteté. La science géologique considère ce terrain primitif comme la base de l’écorce minérale, et elle a reconnu qu’il se compose de trois couches différentes, les schistes, les gneiss, les micaschistes, reposant sur cette roche inébranlable qu’on appelle le granit. Or, jamais minéralogistes ne s’étaient rencontrés dans des circonstances aussi merveilleuses pour étudier la nature sur place. Ce que la sonde, machine inintelligente et brutale, ne pouvait rapporter à la surface du globe de sa texture interne, nous allions l’étudier de nos yeux, le toucher de nos mains. À travers l’étage des schistes, colorés de belles nuances vertes, serpentaient des filons métalliques de cuivre, de manganèse avec quelques traces de platine et d’or. Je songeais à ces richesses enfouies dans les entrailles du globe et dont l’avide humanité n’aura jamais la jouissance! Ces trésors, les bouleversements des premiers jours les ont enterrés à de telles profondeurs, que ni la pioche ni le pic ne sauront les arracher à leur tombeau. Aux schistes succédèrent les gneiss, d’une structure stratiforme, remarquables par la régularité et le parallélisme de leurs feuillets, puis les micaschistes disposés en grandes lamelles rehaussées à l’œil par les scintillations du mica blanc. Je m’imaginais voyager à travers un diamant. La lumière des appareils, répercutée par les petites facettes de la masse rocheuse, croisait ses jets de feu sous tous les angles, et je m’imaginais voyager à travers un diamant creux, dans lequel les rayons se brisaient en mille éblouissements. Vers six heures du soir, cette fête de la lumière vint à diminuer sensiblement, presque à cesser; les parois prirent une teinte cristallisée, mais sombre; le mica se mélangea plus intimement au feldspath et au quartz, pour former la roche par excellence, la pierre dure entre toutes, celle qui supporte, sans en être écrasée, les quatre étages de terrain du globe. Nous étions murés dans l’immense prison de granit. Il était huit heures du soir. L’eau manquait toujours. Je souffrais horriblement. Mon oncle marchait en avant. Il ne voulait pas s’arrêter. Il tendait l’oreille pour surprendre les murmures de quelque source. Mais rien! Cependant mes jambes refusaient de me porter. Je résistais à mes tortures pour ne pas obliger mon oncle à faire halte. C’eût été pour lui le coup du désespoir, car la journée finissait, la dernière qui lui appartînt. Enfin mes forces m’abandonnèrent. Je poussai un cri et je tombai. «À moi! je meurs!» Mon oncle revint sur ses pas. Il me considéra en croisant ses bras; puis ces paroles sourdes sortirent de ses lèvres: «Tout est fini!» Un effrayant geste de colère frappa une dernière fois mes regards, et je fermai les yeux. Lorsque je les rouvris, j’aperçus mes deux compagnons immobiles et roulés dans leur couverture. Dormaient-ils? Pour mon compte, je ne pouvais trouver un instant de sommeil. Je souffrais trop, et surtout de la pensée que mon mal devait être sans remède. Les dernières paroles de mon oncle retentissaient dans mon oreille. «Tout était fini!» car, dans un pareil état de faiblesse, il ne fallait même pas songer à regagner la surface du globe. Il y avait une lieue et demie d’écorce terrestre! Il me semblait que cette masse pesait de tout son poids sur mes épaules. Je me sentais écrasé, et je m’épuisais en efforts violents pour me retourner sur ma couche de granit. Quelques heures se passèrent. Un silence profond régnait autour de nous, un silence de tombeau. Rien n’arrivait à travers ces murailles dont la plus mince mesurait cinq milles d’épaisseur. Cependant, au milieu de mon assoupissement, je crus entendre un bruit. L’obscurité se faisait dans le tunnel. Je regardai plus attentivement, et il me sembla voir l’Islandais qui disparaissait, la lampe à la main. Pourquoi ce départ? Hans nous abandonnait-il? Mon oncle dormait. Je voulus crier. Ma voix ne put trouver passage entre mes lèvres desséchées. L’obscurité était devenue profonde, et les derniers bruits venaient de s’éteindre. «Hans nous abandonne! m’écriai-je. Hans! Hans!» Ces mots, je les criais en moi-même. Ils n’allaient pas plus loin. Cependant, après le premier instant de terreur, j’eus honte de mes soupçons contre un homme dont la conduite n’avait rien eu jusque-là de suspect. Son départ ne pouvait être une fuite. Au lieu de remonter la galerie, il la descendait. De mauvais desseins l’eussent entraîné en haut, non en bas. Ce raisonnement me calma un peu, et je revins à un autre ordre d’idées. Hans, cet homme paisible, un motif grave avait pu seul l’arracher à son repos. Allait-il donc à la découverte? Avait-il entendu pendant la nuit silencieuse quelque murmure dont la perception n’était pas arrivée jusqu’à moi?Notre provision
Catacombe En effet, il fallut se rationner. Notre provision ne pouvait durer plus de trois jours. C’est ce que je reconnus le soir au moment du souper. Et, fâcheuse expectative, nous avions peu d’espoir de rencontrer quelque source vive dans ces terrains de l’époque de transition. Pendant toute la journée du lendemain, la galerie déroula devant nos pas ses interminables arceaux. Nous marchions presque sans mot dire. Le mutisme de Hans nous gagnait. La route ne montait pas, du moins d’une façon sensible. Parfois même elle semblait s’incliner. Mais cette tendance, peu marquée d’ailleurs, ne devait pas rassurer le professeur, car la nature des couches ne se modifiait pas, et la période de transition s’affirmait davantage. La lumière électrique faisait splendidement étinceler les schistes, le calcaire et les vieux grès rouges des parois. On aurait pu se croire dans une tranchée ouverte au milieu du Devonshire, qui donna son nom à ce genre de terrains. Des spécimens de marbres magnifiques revêtaient les murailles, les uns, d’un gris agate avec des veines blanches capricieusement accusées, les autres, de couleur incarnat ou d’un jaune taché de plaques rouges; plus loin, des échantillons de ces griottes à couleurs sombres, dans lesquels le calcaire se relevait en nuances vives. La plupart de ces marbres offraient des empreintes d’animaux primitifs. Depuis la veille, la création avait fait un progrès évident. Au lieu des trilobites rudimentaires, j’apercevais des débris d’un ordre plus parfait; entre autres, des poissons Ganoïdes et ces Sauropteris dans lesquels l’œil du paléontologiste a su découvrir les premières formes du reptile. Les mers dévoniennes étaient habitées par un grand nombre d’animaux de cette espèce, et elles les déposèrent par milliers sur les roches de nouvelle formation. Il devenait évident que nous remontions l’échelle de la vie animale dont l’homme occupe le sommet. Mais le professeur Lidenbrock ne paraissait pas y prendre garde. Il attendait deux choses: ou qu’un puits vertical vînt à s’ouvrir sous ses pieds et lui permettre de reprendre sa descente, ou qu’un obstacle l’empêchât de continuer cette route. Mais le soir arriva sans que cette espérance se fût réalisée. Le vendredi, après une nuit pendant laquelle je commençai à ressentir les tourments de la soif, notre petite troupe s’enfonça de nouveau dans les détours de la galerie. Après dix heures de marche, je remarquai que la réverbération de nos lampes sur les parois diminuait singulièrement. Le marbre, le schiste, le calcaire, les grès des murailles faisaient place à un revêtement sombre et sans éclat. À un moment où le tunnel devenait fort étroit, je m’appuyai sur sa paroi de gauche. Quand je retirai ma main, elle était entièrement noire. Je regardai de plus près. Nous étions en pleine houillère. Hans prépara quelques aliments. Je mangeai à peine, et je bus les quelques gouttes d’eau qui formaient ma ration. La gourde du guide à demi-pleine, voilà tout ce qui restait pour désaltérer trois hommes. Après leur repas, mes deux compagnons s’étendirent sur leurs couvertures et trouvèrent dans le sommeil un remède à leurs fatigues. Pour moi, je ne pus dormir, et je comptai les heures jusqu’au matin. Le samedi, à six heures, on repartit. Vingt minutes plus tard, nous arrivions à une vaste excavation; je reconnus alors que la main de l’homme ne pouvait pas avoir creusé cette houillère; les voûtes en eussent été étançonnées, et véritablement elles ne se tenaient que par un miracle d’équilibre. Cette espèce de caverne comptait cent pieds de largeur sur cent cinquante de hauteur. Le terrain avait été violemment écarté par une commotion souterraine. Le massif terrestre, cédant à quelque puissante poussée, s’était disloqué, laissant ce large vide où des habitants de la terre pénétraient pour la première fois. Toute l’histoire de la période houillère était écrite sur ces sombres parois, et un géologue en pouvait suivre facilement les phases diverses. Les lits de charbon étaient séparés par des strates de grès ou d’argile compactes, et comme écrasés par les couches supérieures. À cet âge du monde qui précéda l’époque secondaire, la terre se recouvrit d’immenses végétations dues à la double action d’une chaleur tropicale et d’une humidité persistante. Une atmosphère de vapeurs enveloppait le globe de toutes parts, lui dérobant encore les rayons du soleil. De là cette conclusion que les hautes températures ne provenaient pas de ce foyer nouveau. Peut-être même l’astre du jour n’était-il pas prêt à jouer son rôle éclatant. Les «climats» n’existaient pas encore, et une chaleur torride se répandait à la surface entière du globe, égale à l’équateur et aux pôles. D’où venait-elle? De l’intérieur du globe. En dépit des théories du professeur Lidenbrock, un feu violent couvait dans les entrailles du sphéroïde; son action se faisait sentir jusqu’aux dernières couches de l’écorce terrestre; les plantes, privées des bienfaisantes effluves du soleil, ne donnaient ni fleurs ni parfums, mais leurs racines puisaient une vie forte dans les terrains brûlants des premiers jours. Il y avait peu d’arbres, des plantes herbacées seulement, d’immenses gazons, des fougères, des lycopodes, des sigillaires, des astérophyllites, familles rares dont les espèces se comptaient alors par milliers. Or c’est précisément à cette exubérante végétation que la houille doit son origine. L’écorce élastique du globe obéissait aux mouvements de la masse liquide qu’elle recouvrait. De là des fissures, des affaissements nombreux. Les plantes, entraînées sous les eaux, formèrent peu à peu des amas considérables. Alors intervint l’action de la chimie naturelle: au fond des mers, les masses végétales se firent tourbe d’abord; puis, grâce à l’influence des gaz et sous le feu de la fermentation, elles subirent une minéralisation complète. Ainsi se formèrent ces immenses couches de charbon qu’une consommation excessive doit, pourtant, épuiser en moins de trois siècles, si les peuples industriels n’y prennent garde. Ces réflexions me venaient à l’esprit pendant que je considérais les richesses houillères accumulées dans cette portion du massif terrestre. Celles-ci, sans doute, ne seront jamais mises à découvert. L’exploitation de ces mines reculées demanderait des sacrifices trop considérables. À quoi bon, d’ailleurs, quand la houille est répandue pour ainsi dire à la surface de la terre dans un grand nombre de contrées? Aussi, telles je voyais ces couches intactes, telles elles seraient encore lorsque sonnerait la dernière heure du monde. Cependant nous marchions, et seul de mes compagnons j’oubliais la longueur de la route pour me perdre au milieu de considérations géologiques. La température restait sensiblement ce qu’elle était pendant notre passage au milieu des laves et des schistes. Seulement, mon odorat était affecté par une odeur très-prononcée de protocarbure d’hydrogène. Je reconnus immédiatement dans cette galerie la présence d’une notable quantité de ce fluide dangereux auquel les mineurs ont donné le nom de grisou, et dont l’explosion a si souvent causé d’épouvantables catastrophes. Heureusement, nous étions éclairés par les ingénieux appareils de Ruhmkorff. Si, par malheur, nous avions imprudemment exploré cette galerie la torche à la main, une explosion terrible eût fini le voyage en supprimant les voyageurs. Cette excursion dans la houillère dura jusqu’au soir. Mon oncle contenait à peine l’impatience que lui causait l’horizontalité de la route. Les ténèbres, toujours profondes à vingt pas, empêchaient d’estimer la longueur de la galerie, et je commençai à la croire interminable, quand soudain, à six heures, un mur se présenta inopinément à nous. À droite, à gauche, en haut, en bas, il n’y avait aucun passage. Nous étions arrivés au fond d’une impasse. Le lendemain, le départ eut lieu de grand matin. Il fallait se hâter. Nous étions à cinq jours de marche du carrefour. Je ne m’appesantirai pas sur les souffrances de notre retour. Mon oncle les supporta avec la colère d’un homme qui ne se sent pas le plus fort; Hans, avec la résignation de sa nature pacifique; moi, je l’avoue, me plaignant et me désespérant; je ne pouvais avoir de cœur contre cette mauvaise fortune. Ainsi que je l’avais prévu, l’eau fit tout à fait défaut à la fin du premier jour de marche. Notre provision liquide se réduisit alors à du genièvre; mais cette infernale liqueur brûlait le gosier, et je ne pouvais même en supporter la vue. Je trouvais la température étouffante. La fatigue me paralysait. Plus d’une fois, je faillis tomber sans mouvement. On faisait halte alors; mon oncle ou l’Islandais me réconfortaient de leur mieux. Mais je voyais déjà que le premier réagissait péniblement contre l’extrême fatigue et les tortures nées de la privation d’eau. Enfin, le mardi 8 juillet, en nous traînant sur les genoux, sur les mains, nous arrivâmes à demi-morts au point de jonction des deux galeries. Là je demeurai comme une masse inerte, étendu sur le sol de lave. Il était dix heures du matin. Hans et mon oncle, accotés à la paroi, essayèrent de grignoter quelques morceaux de biscuit. De longs gémissements s’échappaient de mes lèvres tuméfiées. Je tombai dans un profond assoupissement. Au bout de quelque temps, mon oncle s’approcha de moi et me souleva entre ses bras: «Pauvre enfant!» murmura-t-il avec un véritable accent de pitié. Je fus touché de ces paroles, n’étant pas habitué aux tendresses du farouche professeur. Je saisis ses mains frémissantes dans les miennes. Il se laissa faire en me regardant. Ses yeux étaient humides. Je le vis alors prendre la gourde suspendue à son côté. À ma grande stupéfaction, il l’approcha de mes lèvres: «Bois,» fit-il. Avais-je bien entendu? Mon oncle était-il fou? Je le regardais d’un air hébété. Je ne voulais pas le comprendre. Et relevant la gourde, il la vida tout entière entre mes lèvres. «Bois,» reprit-il. Et relevant sa gourde, il la vida tout entière entre mes lèvres. Oh! jouissance infinie! une gorgée d’eau vint humecter ma bouche en feu, une seule, mais elle suffit à rappeler en moi la vie qui s’échappait. Je remerciai mon oncle en joignant les mains. Si peu que ma soif fût apaisée, j’avais cependant retrouvé quelque force. Les muscles de mon gosier, contractés jusqu’alors, se détendaient et l’inflammation de mes lèvres s’était adoucie. Je pouvais parler. «Voyons, dis-je, nous n’avons maintenant qu’un parti à prendre; l’eau nous manque; il faut revenir sur nos pas.» Pendant que je parlais ainsi, mon oncle évitait de me regarder; il baissait la tête; ses yeux fuyaient les miens. Il y eut un moment de silence assez long. Mon oncle parlait avec une extrême surexcitation. Sa voix, un instant attendrie, redevenait dure, menaçante. Il luttait avec une sombre énergie contre l’impossible! Je ne voulais pas l’abandonner au fond de cet abîme, et, d’un autre côté, l’instinct de la conservation me poussait à le fuir. Le guide suivait cette scène avec son indifférence accoutumée. Il comprenait cependant ce qui se passait entre ses deux compagnons. Nos gestes indiquaient assez la voie différente où chacun de nous essayait d’entraîner l’autre; mais Hans semblait s’intéresser peu à la question dans laquelle son existence se trouvait en jeu, prêt à partir si l’on donnait le signal du départ, prêt à rester à la moindre volonté de son maître. Que ne pouvais-je en cet instant me faire entendre de lui! Mes paroles, mes gémissements, mon accent auraient eu raison de cette froide nature. Ces dangers que le guide ne paraissait pas soupçonner, je les lui eusse fait comprendre et toucher du doigt. À nous deux nous aurions peut-être convaincu l’entêté professeur. Au besoin, nous l’aurions contraint à regagner les hauteurs du Sneffels! Je m’approchai de Hans. Je mis ma main sur la sienne. Il ne bougea pas. Je lui montrai la route du cratère. Il demeura immobile. Ma figure haletante disait toutes mes souffrances. L’Islandais remua doucement la tête, et désignant tranquillement mon oncle: Je me croisai les bras, en regardant mon oncle bien en face. «Le manque d’eau, dit-il, met seul obstacle à l’accomplissement de mes projets. Dans cette galerie de l’est, faite de laves, de schistes, de houilles, nous n’avons pas rencontré une seule molécule liquide. Il est possible que nous soyons plus heureux en suivant le tunnel de l’ouest.» Je secouai la tête avec un air de profonde incrédulité. «Écoute-moi jusqu’au bout, reprit le professeur en forçant la voix. Pendant-que tu gisais ici sans mouvement, j’ai été reconnaître la conformation de cette galerie. Elle s’enfonce directement dans les entrailles du globe, et, en peu d’heures, elle nous conduira au massif granitique. Là, nous devons rencontrer des sources abondantes. La nature de la roche le veut ainsi, et l’instinct est d’accord avec la logique pour appuyer ma conviction. Or, voici ce que j’ai à te proposer. Quand Colomb a demandé trois jours à ses équipages pour trouver les terres nouvelles, ses équipages, malades, épouvantés, ont cependant fait droit à sa demande, et il a découvert le nouveau monde. Moi, le Colomb de ces régions souterraines, je ne te demande qu’un jour encore. Si, ce temps écoulé, je n’ai pas rencontré l’eau qui nous manque, je te le jure, nous reviendrons à la surface de la terre.» En dépit de mon irritation je fus ému de ces paroles et de la violence que se faisait mon oncle pour tenir un pareil langage. «Eh bien! m’écriai-je, qu’il soit fait comme vous le désirez, et que Dieu récompense votre énergie surhumaine. Vous n’avez plus que quelques heures à tenter le sort! En route!» La descente recommença cette fois par la nouvelle galerie. Hans marchait en avant, selon son habitude. Nous n’avions pas fait cent pas, que le professeur, promenait sa lampe le long des murailles, s’écriait: «Voilà les terrains primitifs! nous sommes dans la bonne voie! Marchons! marchons! Lorsque la terre se refroidit peu à peu aux premiers jours du monde, la diminution de son volume produisit dans l’écorce des dislocations, des ruptures, des retraits, des fendilles. Le couloir actuel était une fissure de ce genre par laquelle s’épanchait autrefois le granit éruptif. Ses mille détours formaient un inextricable labyrinthe à travers le sol primordial. À mesure que nous descendions, la succession des couches composant le terrain primitif apparaissait avec plus de netteté. La science géologique considère ce terrain primitif comme la base de l’écorce minérale, et elle a reconnu qu’il se compose de trois couches différentes, les schistes, les gneiss, les micaschistes, reposant sur cette roche inébranlable qu’on appelle le granit. Or, jamais minéralogistes ne s’étaient rencontrés dans des circonstances aussi merveilleuses pour étudier la nature sur place. Ce que la sonde, machine inintelligente et brutale, ne pouvait rapporter à la surface du globe de sa texture interne, nous allions l’étudier de nos yeux, le toucher de nos mains. À travers l’étage des schistes, colorés de belles nuances vertes, serpentaient des filons métalliques de cuivre, de manganèse avec quelques traces de platine et d’or. Je songeais à ces richesses enfouies dans les entrailles du globe et dont l’avide humanité n’aura jamais la jouissance! Ces trésors, les bouleversements des premiers jours les ont enterrés à de telles profondeurs, que ni la pioche ni le pic ne sauront les arracher à leur tombeau. Aux schistes succédèrent les gneiss, d’une structure stratiforme, remarquables par la régularité et le parallélisme de leurs feuillets, puis les micaschistes disposés en grandes lamelles rehaussées à l’œil par les scintillations du mica blanc. Je m’imaginais voyager à travers un diamant. La lumière des appareils, répercutée par les petites facettes de la masse rocheuse, croisait ses jets de feu sous tous les angles, et je m’imaginais voyager à travers un diamant creux, dans lequel les rayons se brisaient en mille éblouissements. Vers six heures du soir, cette fête de la lumière vint à diminuer sensiblement, presque à cesser; les parois prirent une teinte cristallisée, mais sombre; le mica se mélangea plus intimement au feldspath et au quartz, pour former la roche par excellence, la pierre dure entre toutes, celle qui supporte, sans en être écrasée, les quatre étages de terrain du globe. Nous étions murés dans l’immense prison de granit. Il était huit heures du soir. L’eau manquait toujours. Je souffrais horriblement. Mon oncle marchait en avant. Il ne voulait pas s’arrêter. Il tendait l’oreille pour surprendre les murmures de quelque source. Mais rien! Cependant mes jambes refusaient de me porter. Je résistais à mes tortures pour ne pas obliger mon oncle à faire halte. C’eût été pour lui le coup du désespoir, car la journée finissait, la dernière qui lui appartînt. Enfin mes forces m’abandonnèrent. Je poussai un cri et je tombai. «À moi! je meurs!» Mon oncle revint sur ses pas. Il me considéra en croisant ses bras; puis ces paroles sourdes sortirent de ses lèvres: «Tout est fini!» Un effrayant geste de colère frappa une dernière fois mes regards, et je fermai les yeux. Lorsque je les rouvris, j’aperçus mes deux compagnons immobiles et roulés dans leur couverture. Dormaient-ils? Pour mon compte, je ne pouvais trouver un instant de sommeil. Je souffrais trop, et surtout de la pensée que mon mal devait être sans remède. Les dernières paroles de mon oncle retentissaient dans mon oreille. «Tout était fini!» car, dans un pareil état de faiblesse, il ne fallait même pas songer à regagner la surface du globe. Il y avait une lieue et demie d’écorce terrestre! Il me semblait que cette masse pesait de tout son poids sur mes épaules. Je me sentais écrasé, et je m’épuisais en efforts violents pour me retourner sur ma couche de granit. Quelques heures se passèrent. Un silence profond régnait autour de nous, un silence de tombeau. Rien n’arrivait à travers ces murailles dont la plus mince mesurait cinq milles d’épaisseur. Cependant, au milieu de mon assoupissement, je crus entendre un bruit. L’obscurité se faisait dans le tunnel. Je regardai plus attentivement, et il me sembla voir l’Islandais qui disparaissait, la lampe à la main. Pourquoi ce départ? Hans nous abandonnait-il? Mon oncle dormait. Je voulus crier. Ma voix ne put trouver passage entre mes lèvres desséchées. L’obscurité était devenue profonde, et les derniers bruits venaient de s’éteindre. «Hans nous abandonne! m’écriai-je. Hans! Hans!» Ces mots, je les criais en moi-même. Ils n’allaient pas plus loin. Cependant, après le premier instant de terreur, j’eus honte de mes soupçons contre un homme dont la conduite n’avait rien eu jusque-là de suspect. Son départ ne pouvait être une fuite. Au lieu de remonter la galerie, il la descendait. De mauvais desseins l’eussent entraîné en haut, non en bas. Ce raisonnement me calma un peu, et je revins à un autre ordre d’idées. Hans, cet homme paisible, un motif grave avait pu seul l’arracher à son repos. Allait-il donc à la découverte? Avait-il entendu pendant la nuit silencieuse quelque murmure dont la perception n’était pas arrivée jusqu’à moi?Catacombe
L’obscurité était devenue profonde, et les derniers bruits venaient de s’éteindre. «Hans nous abandonne! m’écriai-je. Hans! Hans!» Ces mots, je les criais en moi-même. En effet, il fallut se rationner. Notre provision ne pouvait durer plus de trois jours. C’est ce que je reconnus le soir au moment du souper. Et, fâcheuse expectative, nous avions peu d’espoir de rencontrer quelque source vive dans ces terrains de l’époque de transition. Pendant toute la journée du lendemain, la galerie déroula devant nos pas ses interminables arceaux. Nous marchions presque sans mot dire. Le mutisme de Hans nous gagnait. La route ne montait pas, du moins d’une façon sensible. Parfois même elle semblait s’incliner. Mais cette tendance, peu marquée d’ailleurs, ne devait pas rassurer le professeur, car la nature des couches ne se modifiait pas, et la période de transition s’affirmait davantage. La lumière électrique faisait splendidement étinceler les schistes, le calcaire et les vieux grès rouges des parois. On aurait pu se croire dans une tranchée ouverte au milieu du Devonshire, qui donna son nom à ce genre de terrains. Des spécimens de marbres magnifiques revêtaient les murailles, les uns, d’un gris agate avec des veines blanches capricieusement accusées, les autres, de couleur incarnat ou d’un jaune taché de plaques rouges; plus loin, des échantillons de ces griottes à couleurs sombres, dans lesquels le calcaire se relevait en nuances vives. La plupart de ces marbres offraient des empreintes d’animaux primitifs. Depuis la veille, la création avait fait un progrès évident. Au lieu des trilobites rudimentaires, j’apercevais des débris d’un ordre plus parfait; entre autres, des poissons Ganoïdes et ces Sauropteris dans lesquels l’œil du paléontologiste a su découvrir les premières formes du reptile. Les mers dévoniennes étaient habitées par un grand nombre d’animaux de cette espèce, et elles les déposèrent par milliers sur les roches de nouvelle formation. Il devenait évident que nous remontions l’échelle de la vie animale dont l’homme occupe le sommet. Mais le professeur Lidenbrock ne paraissait pas y prendre garde. Il attendait deux choses: ou qu’un puits vertical vînt à s’ouvrir sous ses pieds et lui permettre de reprendre sa descente, ou qu’un obstacle l’empêchât de continuer cette route. Mais le soir arriva sans que cette espérance se fût réalisée. Le vendredi, après une nuit pendant laquelle je commençai à ressentir les tourments de la soif, notre petite troupe s’enfonça de nouveau dans les détours de la galerie. Après dix heures de marche, je remarquai que la réverbération de nos lampes sur les parois diminuait singulièrement. Le marbre, le schiste, le calcaire, les grès des murailles faisaient place à un revêtement sombre et sans éclat. À un moment où le tunnel devenait fort étroit, je m’appuyai sur sa paroi de gauche. Quand je retirai ma main, elle était entièrement noire. Je regardai de plus près. Nous étions en pleine houillère. Hans prépara quelques aliments. Je mangeai à peine, et je bus les quelques gouttes d’eau qui formaient ma ration. La gourde du guide à demi-pleine, voilà tout ce qui restait pour désaltérer trois hommes. Après leur repas, mes deux compagnons s’étendirent sur leurs couvertures et trouvèrent dans le sommeil un remède à leurs fatigues. Pour moi, je ne pus dormir, et je comptai les heures jusqu’au matin. Le samedi, à six heures, on repartit. Vingt minutes plus tard, nous arrivions à une vaste excavation; je reconnus alors que la main de l’homme ne pouvait pas avoir creusé cette houillère; les voûtes en eussent été étançonnées, et véritablement elles ne se tenaient que par un miracle d’équilibre. Cette espèce de caverne comptait cent pieds de largeur sur cent cinquante de hauteur. Le terrain avait été violemment écarté par une commotion souterraine. Le massif terrestre, cédant à quelque puissante poussée, s’était disloqué, laissant ce large vide où des habitants de la terre pénétraient pour la première fois. Toute l’histoire de la période houillère était écrite sur ces sombres parois, et un géologue en pouvait suivre facilement les phases diverses. Les lits de charbon étaient séparés par des strates de grès ou d’argile compactes, et comme écrasés par les couches supérieures. À cet âge du monde qui précéda l’époque secondaire, la terre se recouvrit d’immenses végétations dues à la double action d’une chaleur tropicale et d’une humidité persistante. Une atmosphère de vapeurs enveloppait le globe de toutes parts, lui dérobant encore les rayons du soleil. De là cette conclusion que les hautes températures ne provenaient pas de ce foyer nouveau. Peut-être même l’astre du jour n’était-il pas prêt à jouer son rôle éclatant. Les «climats» n’existaient pas encore, et une chaleur torride se répandait à la surface entière du globe, égale à l’équateur et aux pôles. D’où venait-elle? De l’intérieur du globe. En dépit des théories du professeur Lidenbrock, un feu violent couvait dans les entrailles du sphéroïde; son action se faisait sentir jusqu’aux dernières couches de l’écorce terrestre; les plantes, privées des bienfaisantes effluves du soleil, ne donnaient ni fleurs ni parfums, mais leurs racines puisaient une vie forte dans les terrains brûlants des premiers jours. Il y avait peu d’arbres, des plantes herbacées seulement, d’immenses gazons, des fougères, des lycopodes, des sigillaires, des astérophyllites, familles rares dont les espèces se comptaient alors par milliers. Or c’est précisément à cette exubérante végétation que la houille doit son origine. L’écorce élastique du globe obéissait aux mouvements de la masse liquide qu’elle recouvrait. De là des fissures, des affaissements nombreux. Les plantes, entraînées sous les eaux, formèrent peu à peu des amas considérables. Alors intervint l’action de la chimie naturelle: au fond des mers, les masses végétales se firent tourbe d’abord; puis, grâce à l’influence des gaz et sous le feu de la fermentation, elles subirent une minéralisation complète. Ainsi se formèrent ces immenses couches de charbon qu’une consommation excessive doit, pourtant, épuiser en moins de trois siècles, si les peuples industriels n’y prennent garde. Ces réflexions me venaient à l’esprit pendant que je considérais les richesses houillères accumulées dans cette portion du massif terrestre. Celles-ci, sans doute, ne seront jamais mises à découvert. L’exploitation de ces mines reculées demanderait des sacrifices trop considérables. À quoi bon, d’ailleurs, quand la houille est répandue pour ainsi dire à la surface de la terre dans un grand nombre de contrées? Aussi, telles je voyais ces couches intactes, telles elles seraient encore lorsque sonnerait la dernière heure du monde. Cependant nous marchions, et seul de mes compagnons j’oubliais la longueur de la route pour me perdre au milieu de considérations géologiques. La température restait sensiblement ce qu’elle était pendant notre passage au milieu des laves et des schistes. Seulement, mon odorat était affecté par une odeur très-prononcée de protocarbure d’hydrogène. Je reconnus immédiatement dans cette galerie la présence d’une notable quantité de ce fluide dangereux auquel les mineurs ont donné le nom de grisou, et dont l’explosion a si souvent causé d’épouvantables catastrophes. Heureusement, nous étions éclairés par les ingénieux appareils de Ruhmkorff. Si, par malheur, nous avions imprudemment exploré cette galerie la torche à la main, une explosion terrible eût fini le voyage en supprimant les voyageurs. Cette excursion dans la houillère dura jusqu’au soir. Mon oncle contenait à peine l’impatience que lui causait l’horizontalité de la route. Les ténèbres, toujours profondes à vingt pas, empêchaient d’estimer la longueur de la galerie, et je commençai à la croire interminable, quand soudain, à six heures, un mur se présenta inopinément à nous. À droite, à gauche, en haut, en bas, il n’y avait aucun passage. Nous étions arrivés au fond d’une impasse. Le lendemain, le départ eut lieu de grand matin. Il fallait se hâter. Nous étions à cinq jours de marche du carrefour. Je ne m’appesantirai pas sur les souffrances de notre retour. Mon oncle les supporta avec la colère d’un homme qui ne se sent pas le plus fort; Hans, avec la résignation de sa nature pacifique; moi, je l’avoue, me plaignant et me désespérant; je ne pouvais avoir de cœur contre cette mauvaise fortune. Ainsi que je l’avais prévu, l’eau fit tout à fait défaut à la fin du premier jour de marche. Notre provision liquide se réduisit alors à du genièvre; mais cette infernale liqueur brûlait le gosier, et je ne pouvais même en supporter la vue. Je trouvais la température étouffante. La fatigue me paralysait. Plus d’une fois, je faillis tomber sans mouvement. On faisait halte alors; mon oncle ou l’Islandais me réconfortaient de leur mieux. Mais je voyais déjà que le premier réagissait péniblement contre l’extrême fatigue et les tortures nées de la privation d’eau. Enfin, le mardi 8 juillet, en nous traînant sur les genoux, sur les mains, nous arrivâmes à demi-morts au point de jonction des deux galeries. Là je demeurai comme une masse inerte, étendu sur le sol de lave. Il était dix heures du matin. Hans et mon oncle, accotés à la paroi, essayèrent de grignoter quelques morceaux de biscuit. De longs gémissements s’échappaient de mes lèvres tuméfiées. Je tombai dans un profond assoupissement. Au bout de quelque temps, mon oncle s’approcha de moi et me souleva entre ses bras: «Pauvre enfant!» murmura-t-il avec un véritable accent de pitié. Je fus touché de ces paroles, n’étant pas habitué aux tendresses du farouche professeur. Je saisis ses mains frémissantes dans les miennes. Il se laissa faire en me regardant. Ses yeux étaient humides. Je le vis alors prendre la gourde suspendue à son côté. À ma grande stupéfaction, il l’approcha de mes lèvres: «Bois,» fit-il. Avais-je bien entendu? Mon oncle était-il fou? Je le regardais d’un air hébété. Je ne voulais pas le comprendre. Et relevant la gourde, il la vida tout entière entre mes lèvres. «Bois,» reprit-il. Et relevant sa gourde, il la vida tout entière entre mes lèvres. Oh! jouissance infinie! une gorgée d’eau vint humecter ma bouche en feu, une seule, mais elle suffit à rappeler en moi la vie qui s’échappait. Je remerciai mon oncle en joignant les mains. Si peu que ma soif fût apaisée, j’avais cependant retrouvé quelque force. Les muscles de mon gosier, contractés jusqu’alors, se détendaient et l’inflammation de mes lèvres s’était adoucie. Je pouvais parler. «Voyons, dis-je, nous n’avons maintenant qu’un parti à prendre; l’eau nous manque; il faut revenir sur nos pas.» Pendant que je parlais ainsi, mon oncle évitait de me regarder; il baissait la tête; ses yeux fuyaient les miens. Il y eut un moment de silence assez long. Mon oncle parlait avec une extrême surexcitation. Sa voix, un instant attendrie, redevenait dure, menaçante. Il luttait avec une sombre énergie contre l’impossible! Je ne voulais pas l’abandonner au fond de cet abîme, et, d’un autre côté, l’instinct de la conservation me poussait à le fuir. Le guide suivait cette scène avec son indifférence accoutumée. Il comprenait cependant ce qui se passait entre ses deux compagnons. Nos gestes indiquaient assez la voie différente où chacun de nous essayait d’entraîner l’autre; mais Hans semblait s’intéresser peu à la question dans laquelle son existence se trouvait en jeu, prêt à partir si l’on donnait le signal du départ, prêt à rester à la moindre volonté de son maître. Que ne pouvais-je en cet instant me faire entendre de lui! Mes paroles, mes gémissements, mon accent auraient eu raison de cette froide nature. Ces dangers que le guide ne paraissait pas soupçonner, je les lui eusse fait comprendre et toucher du doigt. À nous deux nous aurions peut-être convaincu l’entêté professeur. Au besoin, nous l’aurions contraint à regagner les hauteurs du Sneffels! Je m’approchai de Hans. Je mis ma main sur la sienne. Il ne bougea pas. Je lui montrai la route du cratère. Il demeura immobile. Ma figure haletante disait toutes mes souffrances. L’Islandais remua doucement la tête, et désignant tranquillement mon oncle: Je me croisai les bras, en regardant mon oncle bien en face. «Le manque d’eau, dit-il, met seul obstacle à l’accomplissement de mes projets. Dans cette galerie de l’est, faite de laves, de schistes, de houilles, nous n’avons pas rencontré une seule molécule liquide. Il est possible que nous soyons plus heureux en suivant le tunnel de l’ouest.» Je secouai la tête avec un air de profonde incrédulité. «Écoute-moi jusqu’au bout, reprit le professeur en forçant la voix. Pendant-que tu gisais ici sans mouvement, j’ai été reconnaître la conformation de cette galerie. Elle s’enfonce directement dans les entrailles du globe, et, en peu d’heures, elle nous conduira au massif granitique. Là, nous devons rencontrer des sources abondantes. La nature de la roche le veut ainsi, et l’instinct est d’accord avec la logique pour appuyer ma conviction. Or, voici ce que j’ai à te proposer. Quand Colomb a demandé trois jours à ses équipages pour trouver les terres nouvelles, ses équipages, malades, épouvantés, ont cependant fait droit à sa demande, et il a découvert le nouveau monde. Moi, le Colomb de ces régions souterraines, je ne te demande qu’un jour encore. Si, ce temps écoulé, je n’ai pas rencontré l’eau qui nous manque, je te le jure, nous reviendrons à la surface de la terre.» En dépit de mon irritation je fus ému de ces paroles et de la violence que se faisait mon oncle pour tenir un pareil langage. «Eh bien! m’écriai-je, qu’il soit fait comme vous le désirez, et que Dieu récompense votre énergie surhumaine. Vous n’avez plus que quelques heures à tenter le sort! En route!» La descente recommença cette fois par la nouvelle galerie. Hans marchait en avant, selon son habitude. Nous n’avions pas fait cent pas, que le professeur, promenait sa lampe le long des murailles, s’écriait: «Voilà les terrains primitifs! nous sommes dans la bonne voie! Marchons! marchons! Lorsque la terre se refroidit peu à peu aux premiers jours du monde, la diminution de son volume produisit dans l’écorce des dislocations, des ruptures, des retraits, des fendilles. Le couloir actuel était une fissure de ce genre par laquelle s’épanchait autrefois le granit éruptif. Ses mille détours formaient un inextricable labyrinthe à travers le sol primordial. À mesure que nous descendions, la succession des couches composant le terrain primitif apparaissait avec plus de netteté. La science géologique considère ce terrain primitif comme la base de l’écorce minérale, et elle a reconnu qu’il se compose de trois couches différentes, les schistes, les gneiss, les micaschistes, reposant sur cette roche inébranlable qu’on appelle le granit. Or, jamais minéralogistes ne s’étaient rencontrés dans des circonstances aussi merveilleuses pour étudier la nature sur place. Ce que la sonde, machine inintelligente et brutale, ne pouvait rapporter à la surface du globe de sa texture interne, nous allions l’étudier de nos yeux, le toucher de nos mains. À travers l’étage des schistes, colorés de belles nuances vertes, serpentaient des filons métalliques de cuivre, de manganèse avec quelques traces de platine et d’or. Je songeais à ces richesses enfouies dans les entrailles du globe et dont l’avide humanité n’aura jamais la jouissance! Ces trésors, les bouleversements des premiers jours les ont enterrés à de telles profondeurs, que ni la pioche ni le pic ne sauront les arracher à leur tombeau. Aux schistes succédèrent les gneiss, d’une structure stratiforme, remarquables par la régularité et le parallélisme de leurs feuillets, puis les micaschistes disposés en grandes lamelles rehaussées à l’œil par les scintillations du mica blanc. Je m’imaginais voyager à travers un diamant. La lumière des appareils, répercutée par les petites facettes de la masse rocheuse, croisait ses jets de feu sous tous les angles, et je m’imaginais voyager à travers un diamant creux, dans lequel les rayons se brisaient en mille éblouissements. Vers six heures du soir, cette fête de la lumière vint à diminuer sensiblement, presque à cesser; les parois prirent une teinte cristallisée, mais sombre; le mica se mélangea plus intimement au feldspath et au quartz, pour former la roche par excellence, la pierre dure entre toutes, celle qui supporte, sans en être écrasée, les quatre étages de terrain du globe. Nous étions murés dans l’immense prison de granit. Il était huit heures du soir. L’eau manquait toujours. Je souffrais horriblement. Mon oncle marchait en avant. Il ne voulait pas s’arrêter. Il tendait l’oreille pour surprendre les murmures de quelque source. Mais rien! Cependant mes jambes refusaient de me porter. Je résistais à mes tortures pour ne pas obliger mon oncle à faire halte. C’eût été pour lui le coup du désespoir, car la journée finissait, la dernière qui lui appartînt. Enfin mes forces m’abandonnèrent. Je poussai un cri et je tombai. «À moi! je meurs!» Mon oncle revint sur ses pas. Il me considéra en croisant ses bras; puis ces paroles sourdes sortirent de ses lèvres: «Tout est fini!» Un effrayant geste de colère frappa une dernière fois mes regards, et je fermai les yeux. Lorsque je les rouvris, j’aperçus mes deux compagnons immobiles et roulés dans leur couverture. Dormaient-ils? Pour mon compte, je ne pouvais trouver un instant de sommeil. Je souffrais trop, et surtout de la pensée que mon mal devait être sans remède. Les dernières paroles de mon oncle retentissaient dans mon oreille. «Tout était fini!» car, dans un pareil état de faiblesse, il ne fallait même pas songer à regagner la surface du globe. Il y avait une lieue et demie d’écorce terrestre! Il me semblait que cette masse pesait de tout son poids sur mes épaules. Je me sentais écrasé, et je m’épuisais en efforts violents pour me retourner sur ma couche de granit. Quelques heures se passèrent. Un silence profond régnait autour de nous, un silence de tombeau. Rien n’arrivait à travers ces murailles dont la plus mince mesurait cinq milles d’épaisseur. Cependant, au milieu de mon assoupissement, je crus entendre un bruit. L’obscurité se faisait dans le tunnel. Je regardai plus attentivement, et il me sembla voir l’Islandais qui disparaissait, la lampe à la main. Pourquoi ce départ? Hans nous abandonnait-il? Mon oncle dormait. Je voulus crier. Ma voix ne put trouver passage entre mes lèvres desséchées. L’obscurité était devenue profonde, et les derniers bruits venaient de s’éteindre. «Hans nous abandonne! m’écriai-je. Hans! Hans!» Ces mots, je les criais en moi-même. Ils n’allaient pas plus loin. Cependant, après le premier instant de terreur, j’eus honte de mes soupçons contre un homme dont la conduite n’avait rien eu jusque-là de suspect. Son départ ne pouvait être une fuite. Au lieu de remonter la galerie, il la descendait. De mauvais desseins l’eussent entraîné en haut, non en bas. Ce raisonnement me calma un peu, et je revins à un autre ordre d’idées. Hans, cet homme paisible, un motif grave avait pu seul l’arracher à son repos. Allait-il donc à la découverte? Avait-il entendu pendant la nuit silencieuse quelque murmure dont la perception n’était pas arrivée jusqu’à moi?L’obscurité

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