La Musique est, de tous les beaux Arts, celui dont le Vocabulaire est le plus étendu, & pour lequel un Dictionnaire est, par conséquent, le plus utile. Ainsi, l’on ne doit pas mettre celui-ci au nombre de ces compilations ridicules, que la mode ou plutôt la manie des Dictionnaires multiplie de jouir en jour. Si ce Livré est bien fait, il est utile aux ; Artistes, S’il est mauvais, ce n’est ni par le choix du sujet, ni par la forme de l’ouvrage. Ainsi l’on auroit tort de le rebuter, sur son titre. Il faut le lire pour en juger. L’utilité du sujet n’établit pas, j’en conviens, celle du Livré ; elle me justifie seulement de l’avoir entrepris, & c’est aussi tout ce que je puis prétendre ; car, d’ailleurs, je sens bien ce qui manque à l’exécution. C’est ici moins un Dictionnaire en forme, qu’un recueil de matériaux pour un Dictionnaire, qui n’attendent qu’une meilleure main pour être employés. Les fondemens de cet Ouvrage furent jettes si à la hâte, il y a quinze ans dans l’Encyclopédie, que, quand j’ai voulu le reprendre sous œuvre, je n’ai pu lui donner la solidité qu’il auroit eue, si j’avois eu plus de tems pour en digérer le plan & pour l’exécuter. Je ne formai pas de moi-même cette entreprise, elle me fut proposée ; on ajouta que le manuscrit entier de l’Encyclopédie devoit être complet avant qu’il en fût imprimé une seule ligne ; on ne me donna que trois mois pour remplir ma tâche, & trois ans pouvoient nie suffire à peine pour lire, extraire, comparer & compiler les Auteurs dont j’avois besoin : mais le zele de l’amitié m’aveugla sur l’impossibilité du succès. Fidele a ma parole, aux dépens d ma réputation, je fis vite & mal, ne pouvant bien faire en si peu de tems ; au bout de trois mois mon manuscrit entier fut écrit, mis au net & livré ; je ne l’ai pas revu depuis. Si j’avois travaillé volume à volume comme les autres, cet essai, mieux digéré, eût pu rester dans l’état où je l’aurois mis. Je ne me repens pas d’avoir été exact ; mais je me repens d’avoir été téméraire, & d’avoir plus promis que je ne pouvois exécuter. Blessé de l’imperfection de mes articles, à mesure que les volumes de l’Encyclopédie paroissoient, je résolus de refondre le tout sur mon brouillon, & d’en faire à loisir un ouvrage à part traité avec plus de soin. J’étois, en recommençant ce travail, à portée de tous les secours nécessaires. Vivant au milieu des Artistes & des Gens-de-Lettres, je pouvois consulter les uns & les autres. M. l’Abbé Sallier me fournissoit, de la Bibliotheque du Roi, les livres & manuscrits dont j’avois besoin, & souvent je tirois, de ses entretiens, que des lumieres plus sures que de mes recherches. Je crois devoir a la mémoire de cet honnête & savant homme un tribut de reconnoissance que tous les Gens-de-Lettres qu’il a pu servir partageront surement avec moi. Ma retraite à la campagne m’ôta toutes ces ressources, au moment que je commençois d’en tirer parti. Ce n’est pas ici le lieu d’expliquer les raisons de cette retraite : on conçoit que, dans ma façon de penser, l’espoir de faire un bon Livré sur la Musique n’en étoit pas une pour me retenir. Eloigné des amusemens de la Ville, je perdis bientôt les goûts qui s’y rapportoient ; privé des communications qui pouvoient m’éclairer sur mon ancien objet, j’en perdis aussi toutes les vues ; & soit que depuis ce tems l’Art ou sa théorie aient fait des progrès, n’étant pas même a porte d’en rien savoir, je ne fus plus en état de les suivre. Convaincu, cependant, de l’utilité du travail que j’avois entrepris, je m’y remettois de tems a autre, mais toujours avec moins de succès, & toujours éprouvant que les difficultés d’un Livré de cette espece demandent, pour les vaincre, des lumieres que je n’étois plus en état d’acquérir & une chaleur d’intérêt que j’avois cessé d’y mettre. Enfin, désespérant d’être jamais a porte de mieux faire, & voulant quitter pour toujours des idées dont mon esprit s’éloigné de plus en plus, je me suis occupé, dans ces Montagnes, à rassembler ce que j’avois fait à Paris & à Montmorenci ; &, de cet amas indigeste, est sorti l’espece de Dictionnaire qu’on voit ici. Cet historique m’a paru nécessaire pour expliquer comment les circonstances m’ont forcé de donner en si mauvais état un Livré que j’aurois pu mieux faire, avec les secours dont je suis privé. Car j’ai toujours cru que le respect qu’on doit au Public n’est pas de lui dire des fadeurs, mais de ne lui rien dire que de vrai & d’utile, ou du moins qu’on ne jugé tel ; de ne lui rien présenter sans y avoir donne tous les soins dont on est capable, & de croire qu’en faisant de sou mieux, on ne fait jamais assez bien pour lui. Je n’ai pas cru, toutefois, que l’état d’imperfection où j’étois forcé de laisser cet ouvrage, dût m’empêcher de le publier, parce qu’un Livré de cette espece étant utile à l’Art, il est infiniment plus aisé d’en faire un bon sur celui que je donne, que de commencer par tout créer. Les connoissances nécessaires pour cela ne sont peut-être pas fort grandes, mais elles sont fort variées, & se trouvent rarement réunies dans la même tête. Ainsi, mes compilations peuvent épargner beaucoup de travail a ceux qui sont en état d’y mettre l’ordre nécessaire ; & tel, marquant mes erreurs, peut qui faire un excellent Livré, n’eût jamais rien fait de bon sans le mien. J’avertis donc ceux qui ne veulent souffrir que des Livres bien faits, de ne pas entreprendre la lecture de celui-ci ; bientôt ils en seroient rebutés : mais pour ceux que le mal ne détourne pas du bien ; ceux qui ne sont pas tellement occupés des fautes, qu’ils comptent pour rien ce qui les rackette ; ceux, enfin, qui voudront bien chercher ici de quoi compenser les miennes, y trouveront peut-être assez de bons articles pour tolérer les mauvais, &, dans les mauvais même, assez d’observations neuves & vraies, pour valoir la peine d’être triées & choisies parmi le reste. Les Musiciens lisent peu, & cependant je connois peu d’Arts où la lecture & la réflexion soient plus nécessaire. J’ai pensé qu’un Ouvrage de la forme de celui-ci seroit précisément celui qui leur convenoit, & que pour le leur rendre aussi profitable qu’il étoit possible, il faloit moins y dire ce qu’ils savent, que ce qu’ils auroient besoin d’apprendre. Si les Manoeuvres & les Croque-Notes relevent souvent ici des erreurs, j’espere que les vrais Artistes & les hommes de génie y trouveront des vues utiles dont ils sauront bien tirer parti. Les meilleurs Livres sont ceux que le Vulgaire décrie, & dont les gens à talent profitent sans en parler. Après avoir exposé les raisons de la médiocrité de l’Ouvrage & celles de l’utilité que j’estime qu’on en peut tirer, j’aurois maintenant à entrer dans le détail de l’Ouvrage même, à donner un précis du plan que je me suis tracé & de la maniere dont j’ai tâché de le suivre. Mais à mesure que les idées qui s’y rapportent se sont effacées de mon esprit, le plan sur lequel je les arrangeois s’est de même effacé de ma mémoire. Mon premier projet étoit d’en traiter si relativement les articles, d’en lier si bien les suites par des renvois, que le tout, avec la commodité d’un Dictionnaire, eût l’avantage d’un Traité suivi ; mais pour exécuter ce projet, il eût falu me rendre sans cessé présentes toutes les parties de l’Art, & n’en traiter aucune sans me rappeller les autres ; ce que le défaut de ressources & mon goût attiédi m’ont bientôt rendu impossible, & que j’eusse en même bien de la peine à faire, au milieu de mes premiers guides, & plein de ma premiere serveur. Livré à moi seul, n’ayant plus ni Savans ni Livres à consulter ; forcé, par conséquent, de traiter chaque article en lui-même sans égard a ceux qui s’y rapportoient, pour éviter des lacunes, j’ai dû faire bien des redites. Mais j’ai cru que dans un Livré de l’espece de celui-ci, c’étoit encore un moindre mal de commettre des fautes, que de faire des omissions. Je me suis donc attaché sur-tout à bien compléter le Vocabulaire, & non-seulement à n’omettre aucun terme technique, mais à passer plutôt quelquefois les limites de l’Art, que de n’y pas toujours atteindre : & cela m’a mis dans la nécessité de parsemer souvent ce Dictionnaire de mots Italiens & de mots Grecs ; les uns, tellement consacrés par l’usage, qu’il faut les entendre même dans la pratique ; les autres, adoptés de même par les Savans, auxquels, vu la désuétude de ce qu’ils expriment, on n’a pas donne de synonymes en François. J’ai tâché, cependant, de me renfermer dans ma regle, & d’éviter l’excès de Brossard, qui, donnant un Dictionnaire François, en fait le Vocabulaire tout Italien, & l’enfle de mots absolument étrangers à l’Art qu’il traité. Car qui s’imaginera jamais que la Vierge, les Apôtres, la Messe, les Morts, soient des termes de Musique, parce qu’il y a des Musiques relatives à ce qu’ils expriment ; que ces autres mots, Page, Feuillet, Quatre, Cinq, Gosier, Raison, Déjà, soient aussi des termes techniques, parce qu’on s’en sert quelquefois en parlant de l’Art ? Quant aux parties qui tiennent à l’Art sans lui être essentielles, & qui ne sont pas absolument nécessaires a l’intelligence du reste, j’ai évité, autant que j’ai pu, d’y entrer. Telle est celle des Instrumens de Musique, partie vaste & qui rempliroit seule un Dictionnaire, sur-tout par rapport aux Instrumens des Anciens. M. Diderot s’étoit chargé de cette partie dans l’Encyclopédie, & comme elle n’entroit pas dans mon premier plan, je n’ai en garde de l’y ajouter dans la suite après avoir si bien senti la difficulté d’exécuter ce plan tel qu’il étoit. J’ai traité la partie Harmonique dans le systême de la Basse-fondamentale, quoique ce systême, imparfait & défectueux à tant d’égards, ne soit point, selon moi, celui de la Nature & de la vérité, & qu’il en résulte un remplissage sourd & confus, plutôt qu’une bonne Harmonie. Mais c’est un systême, enfin ; c’est le premier, & c’étoit le seul, jusqu’à celui de M. Tartini, ou l’on ait lié, par des principes ces multitudes des de regles isolées qui sembloient toutes arbitraires, & qui faisoient, de l’Art Harmonique, une étude de mémoire plutôt que de raisonnement. Le systême de M. Tartini, quoique meilleur,à mon avis, n’étant pas encore aussi généralement connu, & n’ayant pas, du moins en France, la même autorité que celui de M. Rameau, n’a pas dû lui être substitué dans un Livré destiné principalement pour la Nation Françoise. Je me suis donc contenté d’exposer de mon mieux les principes de ce systême dans un article de mon Dictionnaire ; &, du reste, j’ai cru devoir cette déférence a la Nation pour laquelle j’écrivois, de préférer son sentiment au mien sur le fond de la doctrine Harmonique. Je n’ai pas du cependant m’abstenir, dans l’occasion, des objections nécessaires à l’intelligence des articles que j’avois à traiter ; c’eût été sacrifier l’utilité du Livré au préjugé des Lecteurs ; c’eût été flatter sans instruire, & changer la déférence en lâcheté. J’exhorte les Artistes & les Amateurs de lire ce Livré sans défiance, & de le juger avec autant d’impartialité que j’en ai mis à l’écrire. Je les prie de considérer que ne professant pas, je n’ai d’autre intérêt ici que celui de l’Art, & quand j’en aurois, je devrois naturellement appuyer en faveur de la Musique Françoise, où je puis tenir une place, contre l’Italienne où je ne puis être rien. Mais cherchant sincérement le progrès d’un Art que j’aimois passionnément, mon plaisir a fait taire ma vanité. Les premieres habitudes m’ont long-tems attaché à la Musique Françoise, & j’en étois enthousiaste ouvertement. Des comparaisons attentives & impartiales m’ont entraîné vers la Musique Italienne, & je m’y suis livré avec la même bonne-foi. Si quelquefois j’ai plaisanté, c’étoit pour répondre aux autres sur leur propre ton ; mais je n’ai pas, comme eux, donne des bons-mots pour toute preuve, & je n’ai plaisanté qu’après avoir raisonné. Maintenant que les malheurs & les maux m’ont enfin détaché d’un goût qui n’avoit pris sur moi que trop d’empire, je persiste, par le seul amour de la vérité, dans les jugemens que le seul amour de l’Art m’avoit fait porter. Mais, dans un Ouvrage comme celui-ci, consacré à la Musique en général, je n’en connois qu’une, qui d’étant d’aucun pays, est celle de tous ; & je n’y suis jamais entré dans la querelle des deux Musiques, que quand il s’est agi d’éclaircir quelque point important au progrès commun. J’ai fait bien des fautes, sans doute ; mais je suis assuré que la partialité ne m’en a pas fait commettre une seule. Si elle m’en fait imputer à tort par les Lecteurs, qu’y puis-je faire ? Ce sont eux alors qui ne veulent pas que mon Livré leur soit bon. Si l’on a vu, dans d’autres Ouvrages, quelques articles peu importans qui sont aussi dans celui-ci, ceux qui pourront faire cette remarque, voudront bien se rappeller que, dès l’année 1750, le manuscrit est sorti de mes mains sans que je sache ce qu’il est devenu depuis ce tems-là. Je n’accuse personne d’avoir pris mes articles ; mais il n’est pas juste que d’autres m’accusent d’avoir pris les leurs. A Motiers-Travers le 20 Décembre 1764. AVERTISSEMENT Quand l’espece grammaticale des mots pouvoit embarrasser quelque Lecteur, on l’a désignée par les abbréviations usitées. V. n. verbe neutre s. m. substantif masculin, &c. On ne s’est pas asservi a cette spécification pour chaque article, parce que ce n’est pas ici un Dictionnaire de Langue. On a pris un soin plus nécessaire pour des mots qui out plusieurs sens, en les distinguant par une lettre majuscule quand ou les prend dans le sens technique, & par une petite lettre quand on les prend dans le sens du discours. Ainsi, ces mots : air & Air, mesure & Mesure, note & Note, tems & Tems, portée & Portée, ne sont jamais équivoques, & le sens en est toujours déterminé par la maniere de les écrire. Quelques autres sont plus embarrassans, comme Ton, qui a dans l’Art deux acceptions toutes différentes. On a pris le parti de l’écrire en italique pour distinguer un intervalle, & en romain pour désigner une Modulation. Au moyen de cette précaution, la phrase suivante, par exemple, n’a plus rien d’équivoque. «Dans les Tons majeurs, l’Intervalle de la Tonique a la Médiante est compose d’un Ton majeur & d’un Ton mineur.» DICTIONNAIRE DE MUSIQUE. A A mi la, A la mi re, ou simplement A, seizieme son de la Gamme diatonique & naturelle ; lequel s’appelle autrement la. (Voyez GAMME.) A battuta. (Voyez MESURE.) A Livre ouvert, ou A l’ouverture du Livre. (Voyez LIVRE.) A Tempo. (Voyez MESURE.) ACADÉMIE de MUSIQUE. C’est ainsi qu’on appelloit autrefois en France, & qu’on appelle encore en Italie, une assemblée de Musiciens ou d’Amateurs, à laquelle les François ont depuis donné le nom de Concert. (Voyez Concert.) ACADÉMIE ROYALE de MUSIQUE. C’est le titre que porte encore aujourd’hui l’Opéra de Paris. Je ne dirai rien ici de cet établissement célebre, sinon que de toutes les Académies du Royaume & du Monde, c’est assurément celle qui fait le plus de bruit. (Voyez OPERA.) ACCENT. On appelle ainsi, selon l’acception la plus générale, toute modification de la voix parlante, dans la durée, ou dans le ton des syllabes & des mots dont le discours est composé ; ce qui montre un rapport très-exact entre les deux usages des Accens & les deux parties de la Mélodie, savoir le Rhythme & l’Intonation. Accentus, dit le Grammairien Sergius dans Dont, quasi ad cantus. Il y a autant d’Accens différens qu’il y a de manieres de modifier ainsi la voix ; & il y a autant de genres d’Accens qu’il y a de causes générales de ces modifications. On distingue trois de ces genres dans le simple discours ; savoir, l’Accent grammatical qui renferme la regle des Accens proprement dits, par lesquels le son des syllabes est grave ou aigu, & celle de la quantité, par laquelle chaque syllabe est breve ou longue : l’Accent logique ou rationel, que plusieurs confondent mal-à-propos avec le précédent ; cette seconde sorte d’Accent, indiquant le rapport, la connexion plus ou moins grande que les propositions & les idées ont entr’elles, se marque en partie par la ponctuation enfin l’Accent pathétique ou oratoire, qui, par diverses inflexions de voix, par un ton plus ou moins élevé, par un parler plus vis ou plus lent, exprime les sentimens dont celui qui parle est agité, & les communique à ceux qui l’écoutent. L’étude de ces divers Accens & de leurs effets dans la langue doit être la grande affaire du Musicien, & Denis d’Halicarnasse, regarde avec raison l’Accent en général comme la semence de toute Musique. Aussi devons-nous admettre pour une maxime incontestable que le plus ou moins d’Accent est la vraie cause qui rend les langues plus ou moins musicales : car quel seroit le rapport de la Musique au discours, si des les tons de la voix chantante n’imitoient les Accens de la parole ? D’où il suit que, moins une langue à de pareils Accens, plus la Mélodie y doit être monotone, languissante & fade ; à moins qu’elle ne cherche dans le bruit & la forcé des sons le charme qu’elle ne peut trouver dans leur variété. Quant à l’Accent pathétique & oratoire, qui est l’objet le plus immédiat de la Musique imitative du théâtre, on ne doit pas opposer à la maxime que je viens d’établir, que tous les hommes étant sujets aux mêmes passions doivent en avoir également le langage : car autre chose est l’Accent universel de la Nature qui arrache à tout homme des cris inarticulés, & autre chose l’Accent de la langue qui engendre la Mélodie particuliere à une Nation. La seule différence du plus ou moins d’imagination & de sensibilité qu’on remarque d’un peuple à l’autre en doit introduire une infinie dans l’idiome accentué, si j’ose parler ainsi. L’Allemand, par exemple, hausse également & fortement la voix dans la colere ; il crie toujours sur le même ton : l’Italien, que mille mouvemens divers agitent rapidement & successivement dans le même cas, modifie sa voix de mille manieres. Le même fond de passion regne dans son ame : mais quelle variété d’expressions dans tes Accens & dans son langage ! Or, c’est à cette seule variété, quand le Musicien sait l’imiter, qu’il doit l’energie & la grace de son chant. Malheureusement tous ces Accens divers, qui s’accordent parfaitement dans la bouche de l’Orateur, ne sont pas si faciles à concilier sous la plume du Musicien déjà si gêné par les regles particulieres de son Art. On ne peut douter que la Musique la plus parfaite ou du moins la plus expressive, ne soit celle où tous les Accens sont le plus exactement observés ; mais ce qui rend ce concours si difficile est que trop de regles dans cet Art sont sujettes à se contrarier mutuellement, & se contrarient d’autant plus que la langue est moins musicale ; car nulle ne l’est parfaitement : autrement ceux qui s’en servent chanteroient au lieu de parler. Cette extrême difficulté de suivre à la sois les regles de tous les Accens oblige donc souvent le Compositeur à donner la préférence à l’une ou à l’autre, selon les divers genres de Musique qu’il traité. Ainsi, les Airs de Danse exigent sur-tout un Accent rhythmique & cadence, dont en chaque Nation le caractere est déterminé par la langue. L’Accent grammatical doit être le premier consulté dans le Récitatif, pour rendre plus sensible l’articulation des mots, sujette à se perdre par la rapidité du débit, dans la résonnance harmonique : mais l’Accent passionne l’emporte à sort tour dans les Airs dramatiques ; & tous deux y sont subordonnés, sur-tout dans la Symphonie, à une troisieme forte d’Accent, qu’on pourroit appeller musical, & qui est en quelque sorte déterminé par l’espece de Mélodie que le Musicien veut appropriera aux paroles. En effet, le premier & le principal objet de toute Musique est de plaire à l’oreille ; ainsi tout Air doit avoir un chant agréable : voilà la premiere loi, qu’il n’est jamais permis, d’enfreindre. L’on doit donc premièrement consulter la Mélodie & l’Accent musical dans le dessein d’un Air quelconque. Ensuite, s’il est question d’un chant dramatique & imitatif, il faut chercher l’Accent pathétique qui donne au sentiment son expression, & l’Accent rationel par lequel le Musicien rend avec justesse les idées du Poete ; car pour inspirer aux autres la chaleur dont nous sommes animés en leur parlant, il faut leur faire entendre ce que nous disons. L’Accent grammatical est nécessaire par la même raison ; & cette regle, pour être ici la derniere en ordre, n’est pas moins indispensable que les deux précédentes, puisque le sens des propositions & des phrases dépend absolument de celui des mots : mais le Musicien qui fait sa langue à rarement besoin de songer à cet Accent ; il ne sauroit chanter son Air sans s’appercevoir s’il parle bien ou mal, & il lui suffit de savoir qu’il doit toujours bien parler. Heureux, toutefois, quand une Mélodie flexible & coulante ne cesse jamais de se prêter à ce qu’exige la langue ! Les Musiciens François ont en particulier des secours qui rendent sur ce point leurs erreurs impardonnables, & sur-tout le traité de la Prosodie Françoise de M. l’Abbé d’Olivet, qu’ils devroient tous consulter. Ceux qui seront en état de s’élever plus haut, pourront étudier la Grammaire de Port-royal & les savantes notes du Philosophe qui l’a commentée. Alors en appuyant l’usage sur les regles, & les regles sur les principes, ils seront toujours sûrs de ce qu’ils doivent faire dans l’emploi de l’Accent grammatical de toute espece. Quant aux deux autres sortes d’Accens, on peut moins les réduire en réglés, & la pratique en demande moins d’étude & plus de talent. On ne trouvé point de sang-froid le : langage des passions, & c’est une vérité rebattue qu’il faut être ému soi-même pour émouvoir les autres. Rien ne peut donc suppléer dans la recherche de l’Accent pathétique à ce génie qui réveille à volonté tous les sentimens ; & il n’y a d’autre Art en cette partie que d’allumer en son propre cœur le feu qu’on veut porter dans celui des autres. (Voyez GÉNIE.) Est-il question de l’Accent rationel : l’Art a tout aussi-peu de prise pour le saisir, par la raison qu’on n’apprend point à entendre à des sourds. Il faut avouer aussi que cet Accent est, moins que les autres, du ressort de la Musique, parce qu’elle est bien plus le langage des sens que celui de l’esprit. Donnez donc au Musicien beaucoup d’images ou de sentimens & peu de simples idées à rendre car il n’y a que les passions qui chantent, l’entendement ne fait que parler. ACCENT. Sorte d’agrément du Chant François qui se notoit autrefois avec la Musique, mais que les Maîtres de Goût-du-Chant marquent aujourd’hui seulement avec du crayon, jusqu’à ce que les Ecoliers sachent le placer d’eux-mêmes. L’Accent ne se pratique que sur une syllabe longue, & sert de passage d’une Note appuyée à une autre Note non appuyée, placée sur le même Degré ; il consiste en un coup de gosier qui élevé le son d’un Degré, pour reprendre à l’instant sur la Note suivante le même son d’où l’on est parti. Plusieurs donnoient le nom de Plainte à l’Accent. (Voyez le signe & l’effet de l’Accent Planche B.Figure 13.) ACCENS. Les Poetes emploient souvent ce mot au pluriel pour signifier le Chant même, & l’accompagnent ordinairement d’une épithete, comme doux, tendres, tristes Accens. Alors ce mot reprend exactement le sens de sa racine ; car il vient de canere, cantus, d’où l’on a fait Accentus, comme Concentus. ACCIDENT. ACCIDENTEL. On appelle Accidens ou Signes Accidentels les Bémols, Dièses ou Béquarres qui se trouvent, par accident, dans le courant d’un Air, & qui, par conséquent, n’étant pas à la Clef, ne se rapportent pas au Mode ou Ton principal. (Voyez DIÈSE, BÉMOL, TON, MODE, CLEF TRANSPOSÉE.) On appelle aussi Lignes Accidentelles, celles qu’on ajouta au-dessus ou au-dessous de la Portée pour placer les Notes qui passent son étendue. (Voyez LIGNE, PORTÉE.) ACCOLADE. Trait perpendiculaire aux Lignes, tiré à la marge d’une Partition, & par lequel on joint ensemble les Portées de toutes les Parties. Comme toutes ces Parties doivent s’exécuter en même tems, on compte les Lignes d’une Partition, non par les Portées, mais par les Accolades, & tout ce qui est compris sous une Accolade, ne forme qu’une seule Ligne. (Voyez PARTITION.) ACCOMPAGNATEUR. Celui qui dans un Concert accompagne de l’Orgue, du Clavecin, ou de tout autre Instrument d’accompagnement. (Voyez ACCOMPAGNEMENT.) Il faut qu’un bon Accompagnateur soit grand Musicien, qu’il sache à fond l’Harmonie, qu’il connoisse bien son Clavier, qu’il ait l’oreille sensible, les doigts souples & le goût sur. C’est à l’Accompagnateur de donner le ton aux Voix & le mouvement à l’Orchestre. La premiere de ces fonctions exige qu’il ait toujours sous un doigt la Note du Chant pour la refrapper au besoin & soutenir ou remettre la Voix, quand elle foiblit ou s’égare. La seconde exige qu’il marque la Basse & son Accompagnement par des coups fermes, égaux, détachés & bien réglés à tous égards, afin de bien faire sentir la Mesure aux Concertans, sur-tout au commencement des Airs. On trouvera dans les trois Articles suivans, les détails qui peuvent manquer à celui-ci. ACCOMPAGNEMENT. C’est l’exécution d’une Harmonie complete & réguliere sur un Instrument propre à la rendre, tel que l’Orgue, le Clavecin, le Théorbe, la Guitare, &c. Nous prendrons ici le Clavecin pour exemple ; d’autant plus qu’il est presque le seul Instrument qui soit demeuré en usage pour l’Accompagnement. On y a pour guide une des Parties de, la Musique, qui est ordinairement la Basse. On touche cette Basse de la main gauche, & de la droite l’Harmonie indiquée par la marche de la Basse, par le chant des autres Parties qui marchent en même tems, par la Partition qu’on a devant les yeux, ou par les chiffres qu’on trouvé ajoutés à la Basse. Les Italiens méprisent les chiffres ; la Partition même leur est peu nécessaire : la promptitude & la finesse de leur oreille y supplée, & ils accompagnent fort bien sans tout cet appareil. Mais ce n’est qu’à leur disposition naturelle qu’ils sont redevables de cette facilité, & les autres Peuples, qui ne sont pas nés comme eux pour la Musique, trouvent à la pratique de l’Accompagnement des obstacles presque insurmontables. Il faut des huit à dix années pour y réussir passablement. Quelles sont donc les causes qui retardent ainsi l’avancement des éleve de embarrassent si long-tems les Maîtres, si la seule difficulté de l’Art ne fait point cela ? Il y en a deux principales : l’une dans la manioc de chiffrer les Basses : l’autre dans la méthode de l’Accompagnement. Parlons d’abord de la premiere. Les Signes dont on se sert pour chiffrer les Basses sont en trop grand nombre : il y a si peu d’Accords fondamentaux ! Pourquoi faut-il tant de chiffres pour les exprimer ? Ces mêmes Signes sont équivoques, obscurs, insuffisans. Par exemple, ils ne déterminent presque jamais l’espece des Intervalles qu’ils expriment, ou, qui pis est, ils en indiquent d’une autre espece. On barre les uns pour marquer des Dièses ; on en barre d’autres pour marquer des Bémols : les Intervalles Majeurs & les Superflus, même les Diminues, s’expriment souvent de la même maniere : quand les chiffres sont doubles, ils sont trop confus ; quand ils sont simples, ils n’offrent presque jamais que l’idée d’un seul Intervalle ; de sorte qu’on en a toujours plusieurs à déterminer. Comment remédier à ces inconvéniens ? Faudra-t-il multiplier les Signes pour tout exprimer ? Mais on se plaint qu’il y cri à déjà trop. Faudra-t-il les réduire ? On laissera plus de choses à deviner l’Accompagnateur, qui n’est déjà que trop occupé ; & dès qu’on fait tant que d’employer des chiffres, il faut qu’ils puissent tout dire. Que faire donc ? Inventer de nouveaux Signes, perfectionner le Doigter, & faire, des Signes & du Doigter, deux moyens combines qui concourent à soulager l’Accompagnateur. C’est ce que M. Rameau a tenté avec beaucoup de sagacité, dans si Dissertation sur les différentes méthodes d’Accompagnement. Nous exposerons aux mots Chiffres & Doigter les moyens qu’il propose. Passions aux méthode. Comme l’ancienne Musique n’étoit pas si composée que la nôtre, ni pour le Chant, ni pour l’Harmonie, & qu’il n’y avoir gueres d’autre Basse que la fondamentale, tout l’Accompagnement ne consistoit qu’en une suite d’Accords parfaits, dans lesquels l’Accompagnateurs substituoit de tems en tems quelque Sixte à la Quinte, selon que l’oreille le conduisoit : ils n’en savoient pas davantage. Aujourd’hui qu’on a varié les Modulations, renverse les Parties, surcharge, peut-être gâté l’Harmonie par des foules de Dissonances, on est contraint de suivre d’autres regles. Campion imagina, dit-on, celle qu’on appelle Regle de l’Octave ; (Voyez REGLE DE L’OCTAVE.) & c’est par cette méthode que la plupart des Maîtres enseignent encore aujourd’hui l’Accompagnement. Les Accords sont déterminés par la Regle de l’Octave, relativement au rang qu’occupent les Notes de la Basse, & à la marche qu’elles suivent dans un Ton donne. Ainsi le Ton étant connu, la Note de la Basse-continue aussi connue, le rang de cette Note dans le Ton, le rang de la Note qui la précede immédiatement, & le rang de la Note qui la suit, on ne se trompera pas beaucoup, en accompagnant par la Regle de l’Octave, si le Compositeur a suivi l’Harmonie la plus simple & la plus naturelle ; mais c’est ce qu’on ne doit gueres attendre de la Musique d’aujourd’hui, si ce n’est peut-être en Italie où l’Harmonie paroît se simplifier à mesure qu’elle s’altere ailleurs. De plus, le moyen d’avoir toutes ces choses incessamment présentes, & tandis que l’Accompagnateur s’en instruit, que deviennent les doigts ? A peine atteint-on un Accord, qu’il s’en offre un autre, & le moment de la réflexion est précisément celui de l’exécution. Il n’y a qu’une habitude consommée de Musique, une expérience réfléchie, la facilité de lire une ligue de Musique d’un coup-d’œil, qui puissent aider en ce moment. Encore les plus habiles se trompent-ils avec ce secours. Que de fautes échappent, durant l’exécution, à l’Accompagnateur le mieux exercé ! Attendra-t-on, même pour accompagner, que l’oreille soit formée ; qu’on fache lire aisément & rapidement toute Musique ; qu’on puisse débrouiller, à livre ouvert, une Partition ? Mais, en fût-on là, on auroit encore besoin d’une habitude du Doigter fondée sur d’autres principes d’Accompagnement que ceux qu’on a donnés jusqu’à M. Rameau. Les Maîtres zélés ont bien senti l’insuffisance de leurs Regles. Pour y suppléer, ils ont eu recours à l’énumération & à la description des Consonnances, dont chaque Dissonance se prépare, s’accompagne & se sauve dans tous les différens cas : détail prodigieux que la multitude des Dissonances & de leurs combinaisons fait assez sentir, & dont la mémoire demeure accablée. Plusieurs conseillent d’apprendre la Composition avant de passer à l’Accompagnement : comme si l’Accompagnement n’étoit pas la Composition même, a l’invention près, qu’il faut de plus au Compositeur. C’est comme si l’on proposoit de commencer par se faire Orateur pour apprendre a lire. Combien de gens, au contraire, veulent qu’on commence par l’Accompagnement à apprendre la Composition ? & cet ordre est assurément plus raisonnable & plus naturel. La marche de la Basse, la Regle de l’Octave, la maniere de préparer & sauver les Dissonances, la Composition en général, tout cela ne concourt gueres qu’à montrer la succession d’un Accord à un autre ; de sorte qu’à chaque Accord, nouvel objet, nouveau sujet de réflexion. Quel travail continuel ! Quand l’esprit sera-t-il assez instruit ? Quand l’oreille sera-t-elle assez exercée, pour que les doigts ne soient plus arrêtés ? Telles sont les difficultés que M. Rameau s’est propos d’applanir par ses nouveaux Chiffres, & par ses nouvelles Regles d’Accompagnement. Je tacherai d’exposer en peu de mots les principes sur les quels sa méthode est fondée. Il n’y a dans l’Harmonie que des Consonnances & des Dissonances. Il n’y a donc que des Accords consonnans & des Accords dissonans. Chacun de ces Accords est fondamentalement divisé par Tierces. (C’est le systême de M. Rameau.) L’Accord consonnant est composé de trois Notes, comme ut mi soi ; & le dissonant de quatre, comme sol si re fa : laissant à part la supposition & la suspension, qui, à la place des Notes dont elles exigent le retranchement, en introduisent d’autres comme par licence : mais l’Accompagnement n’en porte toujours que quatre. (Voyez SUPPOSITION & SUSPENSION.) Ou des Accords consonnans se succedent, on dés Accords dissonans sont suivis d’autres Accords dissonans, ou les consonnans & les dissonans sont entrelacés. L’Accord consonnant parfait ne convenant qu’à la Tonique, la succession des Accords consonnans fournit autant de Toniques, & par conséquent autant de changemens de Ton. Les Accords dissonans se succedent ordinairement dans un même Ton, si les Sons n’y sont point altérés. La Dissonance lie le sens harmonique : un Accord y fait desirer l’autre, & sentir que la phrase n’est pas finie. Si le Ton change dans cette succession, ce changement est toujours annoncé par un Dièse ou par un Bémol. Quant à la troisieme succession, savoir l’entrelacement des Accords consonnans & dissonans, M. Rameau la réduit à deux cas seulement ; & il prononce en général, qu’un Accord consonnant ne peut être immédiatement précédé d’aucun autre Accord dissonant, que celui de septieme de la Dominante-Tonique, ou de celui de Sixte-Quinte de la sous-Dominante ; excepté dans la Cadence rompue & dans les suspensions : encore prétend-il qu’il n’y a pas d’exception quant au fond. Il me amble que l’Accord parfait peur encore être précède de l’Accord de Septieme diminuée, & même de celui de Sixte-superflue ; deux Accords originaux, dont le dernier ne se renverse point. Voilà donc textures différentes des phrases harmoniques. 1. Des Toniques qui se succedent & forment autant de nouvelles Modulations. 2. Des Dissonances qui se succedent ordinairement dans le même Ton. 3. Enfin des Consonnances & Dissonances qui s’entrelacent, & ou la Consonnance est, selon M. Rameau, nécessairement précédée de la Septieme de la Dominante, ou de la Sixte-Quinte de la Sous-Dominante. Que reste-t-il donc à faire pour la facilité de l’Accompagnement, sinon d’indiquer à l’Accompagnateur quelle est celle de ces textures qui regne dans ce qu’il accompagne ? Or c’est ce que M. Rameau veut qu’on exécute avec des caracteres de son invention. Un seul Signe peut aisément indiquer le Ton, la Tonique & son Accord. De-là se tire la connoissance des Dièses & des Bémols qui doivent entrer dans la composition des Accords d’une Tonique à une autre. La succession fondementale par Tierces, eu par Quintes, tant en montant qu’en descendant, donne la premiere texture des phrases harmoniques, toute composée d’Accordes consonnans. La succession fondamentale par Quinte, ou par Tierces, en descendant donne la seconde texture, compose d’Accords dissonans, savoir, des Accords de Septieme ; & cette succession donne une Harmone descendante. L’Harmonie ascendante est fournie par une succession de Quintes en montant ou de Quartes en descendant, accompagnées de la Dissonance propre à cette succession, qui est la Sixte-ajoutée ; & c’est la troisieme texture des phrases harmoniques. Cette derniere n’avoit jusqu’ici été observée par personne, pas même par M. Rameau, quoiqu’il en ait découvert le principe dans la Cadence qu’il appelle Irréguliere. Ainsi, par les Regles ordinaires, l’Harmonie qui naît d’une succession de Dissonances, descend toujours, quoique selon les vrais principes, & selon la raison, elle doive avoir, en montant, une progression tout aussi réguliere qu’en descendant. Les Cadences fondamentales donnent la quatrieme texture de phrases harmoniques, où les Consonnances & les Dissonances s’entrelacent. Toutes ces textures peuvent être indiquées par des caracteres simples, clairs, peu nombreux, qui puissent, en même tems, indiquer, quand il le faut, la Dissonance en général ; car l’espece en est toujours déterminée par la texture même. On commence par s’exercer sur ces textures prises séparément ; puis on les fait succéder les unes aux autres sur chaque Ton & sur chaque Mode successivement. Avec ces précautions, M. Rameau prétend qu’on apprend plus d’Accompagnement en six mois qu’on n’en apprenoit auparavant en six ans, & il a l’expérience pour lui. (Voyez CHIFFRES & DOIGTER.) A l’égard de la maniere d’accompagner avec intelligence, comme elle dépend plus de l’usage & du goût que des Regles qu’on en peut donner, je me contenterai de faire ici que ici quelques observations générales que ne doit ignorer aucun Accompagnateur. I. Quoique dans les Principes de M. Rameau, l’on doive toucher tous les Sons de chaque Accord, il faut bien se garder de prendre toujours cette Regle à la lettre. Il y a des Accords qui seroient insupportables avec tout ce remplissage. Dans la plupart des Accord dissonans, sur-tout dans les Accords par supposition, il y a quelque Son à retrancher pour en diminuer la dureté : ce Son est quelquefois la Septieme, quelquefois la Quinte ; quelquefois l’une & l’autre se retranchent. On retranche encore assez souvent la Quinte ou l’Octave de la Basse dans les Accords dissonans, pour éviter des Octaves ou des Quintes de suite qui peuvent faire un mauvais effet, sur-tout aux extrémités. Par la même raison, quand la Note sensible est dans la Basse, on ne la met pas dans l’Accompagnement ; & l’on double, au lieu de cela, la Tierce ou la Sixte, de la main droite. On doit éviter aussi les Intervalles de Seconde, & d’avoir deux doigts joints ; car cela fait une Dissonance fort dure, qu’il faut garder pour quelques occasions où l’expression la demande. En général on doit penser, en accompagnant, que quand M. Rameau veut qu’on remplisse tous les Accords, il a bien plus d’égard’a la méchanique des doigts & à son systême particulier d’Accompagnement, qu’à la pureté de l’Harmonie. Au lieu du bruit confus que fait un pareil Accompagnement, il faut chercher à le rendre agréable & sonore, & faire qu’il nourrisse & renforce la Basse, au lieu de la couvrir & de l’étouffer. Que si l’on demande comment ce retranchement de Sons s’accorde avec la définition de l’Accompagnement par une Harmonie complete, je réponde que ces retranchemens ne sont, dans le vrai, qu’hypothétiques & seulement dans le systême de M. Rameau ; que, suivant la Nature, ces Accords, en apparence ainsi mutilés, ne sont pas moins complets que les autres, puisque les Sons qu’on y suppose ici retranchés les rendroient choquans & souvent insupportables ; qu’en effet les Accords dissonans ne sont point remplis dans le systême de M. Tartini comme dans celui de M. Rameau ; que par conséquent des Accords défectueux dans celui-ci sont complets dans l’autre ; qu’enfin le bon goût dans l’exécution demandant qu’on s’écarte souvent de la regle générale, & l’Accompagnement le plus régulier n’étant pas toujours le plus agréable, la définition doit dire la regle, & l’usage apprendre quand on s’en doit écarte. II. On doit toujours proportionner le bruit de l’Accompagnement au caractere de la Musique & à celui des Instrumens ou des Voix que l’on doit accompagner. Ainsi dans un Chœur on frappe de la main droite les Accords pleins ; de la gauche on redouble l’Octave ou la Quinte ; quelquefois tout l’Accord. On en doit faire autant dans le Récitatif Italien ; car les sons de la Basse n’y étant pas soutenus ne doivent se faire entendre qu’avec toute leur Harmonie, & de maniere à rappeller fortement & pour long-tems l’idée de la Modulation. Au contraire dans un Air lent & doux, quand on n’a qu’une voix foible ou un seul Instrument à accompagner, on retranche des Sons, on arpège doucement, on prend le petit Clavier. En un mot, on a toujours attention que l’Accompagnement, qui n’est fait que pour soutenir & embellir le Chant, ne le gâte & ne le couvre pas. III. Quand on frappe les même touches pour prolonger le Son dans une Note longue ou une Tenue, que ce soit plutôt au commencement de la Mesure ou du Tems fort, que dans un autre moment : on ne doit rebattre qu’en marquent bien la Mesure. Dans le Récitatif Italien, quelque durée que puisse avoir une Note de Basse, il ne faut jamais la frapper qu’une fois & sortement avec tout, son Accord ; on refrappe seulement l’Accord quand il change sur la même Note : mais quand un Accompagnement de Violons regne sur le Récitatif, alors il faut soutenir la Basse & en arpéger l’Accord. IV. Quand on accompagne de la Musique vocale, on doit par l’Accompagnement soutenir la Voix, la guider, lui donner le Ton à toutes les rentrées, & l’y remettre quand elle détonne : l’Accompagnateur ayant toujours le Chant sous les yeux & Harmonie présente à l’esprit, est chargé spécialement d’empêcher que la Voix ne s’égare. (Voyez ACCOMPAGNATEUR. V. On ne doit pas accompagner de la même maniere la Musique Italienne & la Françoise. Dans celle-ci, il faut soutenir les bons, les arpéger gracieusement & continuellement de bas en haut ; remplir toujours l’Harmonie, autant qu’il se peut ; jouer proprement la Basse ; en un mot, se prêter à tout ce qu’exige le genre. Au contraire, en accompagnant de l’Italien, il faut frapper simplement & détacher les Notes de la Basse ; n’y faire ni Trills ni Agremens, lui conserver la marche égale & simple qui lui convient ; l’Accompagnement doit être plein, sec & sans arpéger, excepté le cas dont j’ai parlé numéro 3, & quelques Tenues ou Points d’Orgue. On y peut, sans scrupule, retrancher dis Sons ; mais alors il faut bien choisir ceux qu’on fait entendre ; en sorte qu’ils se fondent dans l’Harmonie & se marient bien avec la Voix. Les Italiens ne veulent pas qu’on entende rien dans l’Accompagnement, ni dans la Basse, qui puisse distraire un moment l’oreille du Chant ; & leurs Accompagnemens sont toujours dirigés sur ce principe, que le plaisir & l’intention s’évaporent en se partageant. VI. Quoique l’Accompagnement de l’Orgue soit le même que celui du Clavecin, le goût en est très-différent. Comme les Sons de l’Orgue sont soutenus, la marche en doit être plus liée & moins sautillante : il faut lever la main entiere le moins qu’il se peut ; glisser les doigts d’une touche à l’autre, sans ôter ceux qui, dans la place où ils sont, peuvent servir à l’Accord où l’on passe. Rien n’est si désagréable que d’entendre hacher sur l’Orgue cette espece d’Accompagnement sec, arpégé, qu’on est forcé de pratiquer sur le Clavecin. (Voyez le mot DOIGTER.) En général l’Orgue, cet Instrument si sonore & si majestueux, ne s’associe avec aucun autre, & ne fait qu’un mauvais effet dans l’Accompagnement, si ce n’est tout au plus pour fortifier les Rippienes les Chœurs. M. Rameau, dans ses Erreurs sur la Musique, vient d’établir ou du moins d’avancer un nouveau Principe, dont il me censure fort de n’avoir pas parlé dans l’Encyclopédie ; savoir, que l’Accompagnement représente le Corps Sonore. Comme j’examine ce Principe dans un autre écrit, je me dispenserai d’en parler dans cet article qui n’est déjà que trop long. Mes disputes avec M. Rameau sont les choses du monde les plus inutiles au progrès de l’Art, & par conséquent au but de ce Dictionnaire. ACCOMPAGNEMENT, est encore toute Partie de Basse ou d’autre Instrument, qui est composée sous un Chant pour y faire Harmonie. Ainsi un Solo de Violon s’accompagne du Violoncelle ou du Clavecin, & un Accompagnement de Flûte se marie fort bien avec la voix. L’Harmonie de l’Accompagnement ajoute à l’agrément du Chant en rendant les Sons plus sûrs, leur effet plus doux, la Modulation plus sensible, & portant à l’oreille un témoignage de justesse qui la flatte. Il y a même, par rapport aux Voix, une sorte raison de les faire toujours accompagner de quelque Instrument, soit en Partie, soit à l’Unisson. Car, quoique plusieurs prétendent qu’enchantant la Voix se modifie naturellement selon les loix du tempérament, (voyez TEMPÉRAMENT.) cependant l’expérience nous dit que les Voix les plus justes & les mieux exercées ont bien de la peine à se maintenir long-tems dans la justesse du Ton, quand rien ne les y soutient. A forcé de chanter on monte ou l’on descend insensiblement, & il est très-rare qu’on se trouvé exactement en finissant dans le Ton d’où l’on étoit parti. C’est pour empêcher ces variations que l’Harmonie d’un Instrument est employée ; elle maintient la Voix dans le même Diapason, ou l’y rappelle aussi-tôt, quand elle s’égare. La Basse est, de toutes les Parties, la plus propre à l’Accompagnement, celle qui soutient le mieux la Voix, & satisfait le plus l’oreille ; parce qu’il n’y en a point dont les vibrations soient si fortes, si déterminantes, ni qui laisse moins d’équivoque dans le jugement de l’Harmonie fondamentale. ACCOMPAGNER, v. a. & n. C’est en général jouer les Parties d’Accompagnement dans l’exécution d’un morceau de Musique ; c’est plus particuliérement, sur un Instrument convenable, frapper avec chaque Note de la Basse les Accords qu’elle doit porter, & qui s’appellent l’Accompagnement. J’ai suffisamment expliqué dans les précédens articles en quoi consiste cet Accompagnement. J’ajouterai seulement que ce mot même avertit celui qui accompagne dans un concert qu’il n’est chargé que d’une partie accessoire, qu’il ne doit s’attacher qu’à en faire valoir d’autres, que sitôt qu’il a la moindre prétention pour lui-même, il gâte l’exécution & impatiente à la sois les Concertans & les Auditeurs : plus il croit se faire admirer, plus il se rend ridicule ; & sitôt qu’à force de bruit ou d’ornemens déplacés il détourne à soi l’attention due à la partie principale, tout ce qu’il montre de talent & d’exécution, montre à la fois sa vanité & son mauvais goût. Pour Accompagner avec intelligence & avec applaudissement, il ne faut songer qu’à soutenir & faire valoir les Parties essentielles, & c’est exécuter fort habilement la sienne que d’en faire sentir l’effet sans la laisser remarquer. ACCORD, s, m. Union de deux ou plusieurs Sons rendus à la fois, & formant ensemble un tout harmonique. L’Harmonie naturelle produite par la résonnance d’un Corps sonore est composée de trois Sons différens, sans compter leurs Octaves ; lesquels forment entre eux l’Accord le plus agréable & le plus parfait que l’on puisse entendre d’où on l’appelle par excellence Accord parfait. Ainsi pour rendre complete l’Harmonie, il faut que chaque Accord soit au moins composé de trois Sons. Aussi les Musiciens trouvent ils dans le Trio la perfection harmonique, soit parce qu’ils y emploient les Accords en entier, soit par ce que dans les occasions où ils ne les emploient pas en entier, ils ont l’art de donner le change à l’oreille, & de lui persuader le contraire, en lui présentant les Sons principaux des Accords de maniere à lui faire oublier les autres. (Voyez Trio.) Cependant l’Octave du Son principal produisant de nouveaux rapports & de nouvelles Consonnances par les complémens des Intervalles, (voyez COMPLÉMENT) on ajoute ordinairement cette Octave pour avoir l’ensemble de toutes les Consonnances dans un même Accord. (Voyez CONSONNANCE.) De plus, l’addition de la Dissonance, (voyez DISSONANCE.) produisant un quatrieme Son ajouté à l’Accord parfait, c’est une nécessité, si l’on veut remplir l’Accord, d’avoir une quatrieme Partie pour exprimer cette Dissonance. Ainsi la suite des Accords ne peut être complete & liée qu`au moyen de quatre Parties. On divise les Accords en parfaits & imparfaits. L’Accord parfait est celui dont nous venons de parler, lequel est composé du Son fondamental au grave, de sa Tierce, de sa Quinte, & de son Octave ; il se subdivise en Majeur ou Mineur, selon l’espece de sa Tierce. (Voyez MAJEUR, Mineur.) Quelques Auteurs donnent aussi le nom de parfaits à tous les Accords, même Dissonans, dont le Son fondamental est au grave. Les Accords imparfaits sont ceux ou regne la Sixte au lieu de la Quinte, & en général tous ceux où le Son grave n’est pas le fondamental. Ces dénominations, qui ont été données avant que l’on connût la Basse--fondamentale, sont fort mal appliquées : celles d’Accords directs ou renversés sont beaucoup plus convenables dans le même sens. (Voyez RENVERSEMENT.) Les Accords se divisent encore en Consonants & Dissonans. Les Accords Consonants sont l’Accord parfait & ses dérivés : tout autre Accord est Dissonant. Je vais donner une Table des uns & des autres, selon le systême de M. Rameau. Nous parlerons aux mots HARMONIE, BASSE-FONDAMENTAL, COMPOSITION, &c. de la maniere d’employer tous ces Accords pour en former une Harmonie réguliere. J’ajouterai seulement ici les observations suivantes. I. C’est une grande erreur de penser que le choix des renversemens d’un même Accord soit indifférent pour l’Harmonie ou pour l’expression. Il n’y a pas un de ces renversemens qui n’ait son caractere propre. Tout le monde sent l’opposition qui se trouvé entre la douceur de la Fausse-Quinte & l’aigreur du Triton, & cependant l’un de ces Intervalles est renversé de l’autre. Il en est de même de la Septieme diminuée & de la Seconde superflue, de la Seconde ordinaire & de la Septieme. Qui ne sait combien la Quinte est plus sonore que la Quarte ? L’Accord de Grande-Sixte & celui de Petite-Sixte mineure, sont deux faces du même Accord fondamental ; mais de combien l’une n’est elle pas plus harmonieuse que l’autre ? L’Accord de Petite-Sixte majeure, au contraire, n’est-il pas plus brillant que celui de fausse Quinte ? Et pour ne parler que du plus simple de tous les Accords, considérez la majesté de l’Accord parfait, la douceur de l’Accord de Sixte, & la fadeur de celui de Sixte-Quarte ; tous cependant composés des mêmes Sons. En général les Intervalles superflus, les Dièses dans le haut, sont propres par leur dureté à exprimer l’emportement, la colere & les passions aiguës. Au contraire, les Bémols a l’aigu & les Intervalles diminués forment une Harmonie plaintive, qui attendrit le cœur. C’est une multitude d’observations semblables, qui, lorsqu’un habile Musicien sait s’en prévaloir, le rendent maître des affections de ceux qui l’écoutent. II. Le choix des Intervalles simples n’est gueres moins important que celui des Accords pour la place où l’on doit les employer. C’est, par exemple, dans le bas qu’il faut placer les Quintes & les 0ctaves par préférence, dans le haut les Tierces & les Sixtes. Transposez cet ordre, vous gâterez l’Harmonie en laissant les mêmes Accords. III. Enfin l’on rend les Accords plus harmonieux encore, en les rapprochant par de petits Intervalles, plus convenables que les grands à la capacité de l’oreille. C’est ce qu’on appelle resserrer l’Harmonie, & que si peu de Musiciens savent pratiquer. Les bornes du Diapason des voix sont un raison de plus pour resserrer les Chœurs. On peut assurer qu’un Chœur est mal fait, lorsque les Accords divergent, lorsque les Parties crient, sortent de leur Diapason, & sont si éloignées les unes des autres qu’elles semblent n’avoir plus de rapport entre elles. On appelle encore Accord l’état d’un Instrument dont les Sons fixes sont entre eux dans toute la justesse qu’ils doivent avoir. On dit en ce sens qu’un Instrument est d’Accord, qu’il n’est pas d’Accord, qu’il garde ou ne garde pas sort Accord. La même expression s’emploie pour deux Voix qui chantent ensemble, pour deux Sons qui se sont entendre à la sois, soit à l’Unisson, soit en Contre-parties. ACCORD DISSONANT, FAUX ACCORD, ACCORD FAUX, sont autant de différentes choses qu’il ne faut pas confondre. Accord dissonant est celui qui contient quelque Dissonance ; Accord faux, celui dont les Sons sont mal accordés, & ne gardent pas entre eux la justesse des Intervalles ; faux Accord, celui qui choque l’oreille, parce qu’il est mal composé, & que les Sons, quoiques justes, n’y forment pas un tout harmonique. ACCORDER des Instrumens, c’est tendre ou lâcher les cordes, alonge ou raccourcir les tuyaux, augmenter ou diminuer la masse du Corps sonore, jusqu’à ce que toutes les parties de l’Instrument soient au Ton qu’elles doivent avoir. Pour Accorder un Instrument, il faut d’abord fixer un Son qui serve aux autres de terme de comparaison. C’est ce qu’on appelle, prendre ou donner le Ton. (Voyez Ton.) Ce Son est ordinairement l’ut pour l’Orgue & le Clavecin, le la pour le Violon & la Basse, qui ont ce la sur une corde à vuide & dans un Medium propre à être aisément saisi par l’oreille. A l’égard des Flûtes, Hautbois, Bassons, & autres Instrumens à vent, ils ont leur Ton à-peu-près fixé, qu’on ne peut gueres changer qu’en changeant quelque piece de l’Instrument. On peut encore les alonge un peu à l’emboîture des pieces, ce qui baisse le Ton de quelque chose ; mais il doit nécessairement résulter des tons faux de ces variations, parce que la juste proportion est rompue entre la longueur totale de l’Instrument & les distances d’un trou à l’autre. Quand le ton est déterminé, on y fait rapporter tous les autres Sons de l’Instrument, lesquels doivent être fixés par l’Accord selon les Intervalles qui leur conviennent. L’Orgue & le Clavecin s’accordent par Quintes, jusqu’à ce que la Partition soit faite, & par Octaves pour le reste du Clavier ; la Basse & le Violon par Quintes ; la Viole & la Guitare par Quartes & par Tierces, &c. En général on choisit toujours des Intervalles consonants & harmonieux, afin que l’oreille en saisisse plus aisément la justesse. Cette justesse des Intervalles ne peut, dans la pratique, s’observer à toute rigueur, & pour qu’ils puissent tous s’Accorder entre eux, il faut que chacun en particulier souffre quelque altération. Chaque espece d’Instrument à pour cela ses regles particulieres & sa méthode d’Accorder. (Voyez TEMPÉRAMENT. On observe que les Instrumens dont on tire le Son par Inspiration, comme la Flûte & le Hautbois, montent insensiblement quand on a joué quelque tems ; ce qui vient, selon quelques-uns, de l’humidité qui, sortant de la bouche avec l’air, les renfle & les raccourcit ; ou plutôt, suivant la Doctrine de M. Euler, c’est que la chaleur & la réfraction que l’air reçoit pendant l’inspiration rendent ses vibrations plus fréquentes, diminuent ton poids, & augmentant ainsi le poids relatif de l’Atmosphere, rendent le Son un peu plus aigu. Quoi qu’il en soit de la cause, il faut, en Accordant ; avoir égard à l’effet prochain, & forcer un peu le vent quand on donne ou reçoit le Ton sur ces Instrumens ; car pour rester d’Accord durant le Concert, ils doivent être un peu trop bas en commençant. ACCORDEUR, f. m. On appelle Accordeurs d’Orgue ou de Clavecin, ceux qui vont dans les Eglises ou dans les maisons accommoder & accorder ces Instrumens, & qui, pour l’ordinaire, en sont aussi les Facteurs. ACOUSTIQUE, f. F. Doctrine ou Théorie des Sons. (Voyez Son.) Ce mot est de l’invention de M. Sauveur. L’Acoustique est proprement la Partie théorique de la Musique : c’est elle qui donne ou doit donner les raisons du plaisir que nous sont l’Harmonie & le Chan, qui détermine les rapports des Intervalles harmoniques, qui découvre les, affections ou propriétés des cordes vibrantes, &c. (Voyez CORDES, HARMONIE.) Acoustique est aussi quelquefois adjectif ; on dit : l’Organe Acoustique ; un Phénomene Acoustique, &c. ACTE, s. m. Partie d’un Opéra séparée d’une autre dans autre représentation par un espace appellé Entr’Acte. (Voyez. Entre’Acte.) L’unité de tems & de lieu doit être aussi rigoureusement observée dans un Acte d’Opéra que dans, une Tragédie entiere du genre ordinaire, & même plus, à certains égards ; car le Poete ne doit point donner à un Acte d’Opéra une durée hypothétique plus longue que celle qu’il a réellement, parce qu’on ne peut supposer que ce qui se passe sous nos yeux dure plus long-tems que nous ne le voyons durer est effet : mais il dépend du Musicien de précipiter ou, ralentir l’action jusqu’à un certain point, pour augmenter la vraisemblance ou l’intérêt ; liberté qui l’oblige à bien étudier la gradation des passions théâtrales, le tems qu’il faut pour les développer, celui où le progrès est au plus haut point, & celui où il convient de s’arrêter pour prévenir l’inattention, la langueur, l’épuisement du Spectateurs. Il n’est pas non plus permis de changer de décoration & de faire sauter le théâtre d’un lieu à un autre, au milieu d’un Acte, même dans le genre merveilleux ; parce qu’un pareil faut choque la raison, la vérité, la vraisemblance, & détruit l’illusion, que la premiere loi du Théâtre est de favoriser en tout. Quand donc l’action est interrompue par de tels changemens, le Musicien ne peut savoir ni comment il les doit marquer, ni ce qu’il doit faire de son Orchestre pendant qu’ils durent, à moins d’y représenter le même cahos qui regne alors sur la Scene. Quelquefois le premier Acte d’un Opéra ne tient point à l’action principale & ne lui sert que d’introduction. Alors il s’appelle Prologue. (Voyez ce mot.) Comme le Prologue ne fait pas partie de la Piece, on ne le compte point dans le nombre des Actes qu’elle contient & qui est souvent de cinq dans les Opéra François, mais toujours les Italiens. (Voyez OPERA.) ACTE DE CADENCE, est un mouvement dans une des Parties, & sur-tout dans la Basse, qui oblige toutes les autres Parties à concourir à former une Cadence, ou à l’éviter expressément. (Voyez CADENCE, EVITER.) ACTEUR, f. m. Chanteur qui fait un rôle dans la représentation d’un Opéra. Outre toutes les qualités qui doivent lui être communes avec l’Acteur dramatique, il doit en avoir beaucoup de particulieres pour réussir dans son Art. Ainsi, il ne suffit pas qu’il ait un bel organe pour la parole, s’il ne l’a tout aussi beau pour le Chant ; car il n’y a pas une telle liaison entre la voix parlante & la voix chantante, que la beauté de l’une suppose toujours celle de l’autre. Si l’on pardonne à un Acteur le défaut de quelque qualité qu’il a pu se flatter d’acquérir, on ne peut lui pardonner d’oser se destiner au Théâtre, destitué des qualités naturelles qui y sont nécessaires, telles entre autres que la voix dans un Chanteur. Mais par ce mot voix, j’entends moins la forcé du timbre, que l’étendue, la justesse & la flexibilité. Je pense qu’un Théâtre dont l’objet est d’émouvoir le cœur par les Chants, doit être interdit à ces voix dures & bruyantes qui ne sont qu’étourdir les oreilles ; & que, quelque peu de voix que puisse avoir un Acteur, s’il l’a juste, touchante, facile, & suffisamment étendue, il en a tout autant qu’il faut ; il saura toujours bien se faire entendre, s’il sait se faire écouter. Avec une voix convenable, l’Acteur doit l’avoir cultivée par l’Art, & quand sa voix n’en auroit pas besoin, il en auroit besoin lui-même pour saisir & rendre avec intelligence la partie musicale de ses rôles. Rien n’est plus insupportable & plus dégoûtant que de voir un Héros dans les transports des passions les plus vives, contraint & gêné dans son rôle, peiner & s’assujettir en écolier qui répete mal sa leçon ; montrer, au lieu des combats de l’Amour & de la Vertu, ceux d’un mauvais Chanteur avec la Mesure & l’Orchestre, & plus incertain sur le Ton que sur le parti qu’il doit prendre. Il n’y a ni chaleur ni grace sans facilité, & l’Acteur dont le rôle lui coûte, ne le rendra jamais bien. Il ne suffit pas à l’Acteur d’Opéra d’être un excellent Chanteur, s’il n’est encore un excellent Pantomime ; car il ne doit pas seulement faire sentir ce qu’il dit lui-même, mais aussi ce qu’il laissé dire à la Symphonie. L’Orchestre ne rend pas un sentiment qui ne doive sortir de son ame ; ses pas, les regards, son geste, tout doit s’accorder sans cessé avec la Musique, sans pourtant qu’il paroisse y songer ; il doit intéresser toujours, même en gardant le silence, & quoiqu’occupé d’un rôle difficile, s’il laissé un instant oublier le Personnage pour s’occuper du Chanteur, ce n’est qu’un Musicien sur la Scene ; il n’est plus Acteur. Tel excella dans les autres Parties, qui s’est fait siffler pour avoir négligé celle-ci. Il n’y a point d’Acteur à qui l’on ne puisse, à cet égard, donner le célebre Chasse pour modele. Cet excellent Pantomime, en mettant toujours son Art au-dessus de lui, & s’efforçant toujours d’y exceller, s’est ainsi mis lui-même fort au-dessus de les Confreres : Acteur unique & homme estimable, il laissera l’admiration & le regret de ses talens aux Amateurs de son Théâtre, & un souvenir honorable de si personne à tous les honnêtes gens. ADAGIO, adv. Ce mot écrit à la tête d’un Air désigne le second, du lent au vite, des cinq principaux degrés de Mouvement distingués dans la Musique Italienne. (Voyez MOUVEMENT.) Adagio est un adverbe Italien qui signifie, à l’aise, posément, & c’est aussi de cette maniere qu’il faut battre la Mesure des Airs auxquels il s’applique. Le mot Adagio se prend quelquefois substantivement, & s’applique par métaphore aux morceaux de Musique dont il détermine le mouvement : il en est de même des autres mots semblables. Ainsi, l’on dira : un Adagio de Tartini, un Andante de S. Martino, un Allegro de Locatelli, &c. AFFETTUOSO, adj. pris adverbialement. Ce mot écrit à la tête d’un Air indique un mouvement moyen entre l’Andante & l’Adagio, & dans le caractere du Chant une expression affectueuse & douce. AGOGE. Conduite. Une des subdivisions de l’ancienne Mélopée, laquelle donne les regles de la marche du Chant par degrés alternativement conjoints ou disjoints, soit en montant, soit en descendant. (Voyez MÉLOPÉE.) Martianus Cappella donne, après Aristide Quintilien, au mot Agogé, un autre sens que j’exposé au mot TIRADE. AGREMENS DU CHANT. On appelle ainsi dans la Musique que Françoise certains tours de gosier & autres ornemens affectés aux Notes qui sont dans telle ou telle position, selon les regles prescrites par le goût du Chant. (Voyez GOUT DU CHANT.) Les principaux de ces Agrémens sont : l’ACCENT, le COULE, le FLATTE, le MARTELLEMENT, la CADENCE PLEINE, la CADENCE BRISÉ & le PORT DE VOIX. (Voyez ces articles chacun en son lieu ; & la Planche B. Figure 13.) AIGU, adj. Se dit d’un Son perçant ou élevé par rapport à quelque autre Son. (Voyez SON.) En ce sens, le mot Aigu est opposé au mot Grave. Plus les vibrations du corps sonore sont fréquentes, plus le Son est Aigu. Les Sons considérés sous les rapports d’Aigus & de Graves sont le sujet de l’Harmonie. (Voyez HARMONIE, ACCORD.) AJOUTÉE, ou Acquise, ou Surnuméraire, adj. pris substantivement. C’étoit dans la Musique Grecque la Corde ou le Son qu’ils appelloient PROSLAMBANOMENOS. (Voyez ce mot.) Sixte ajoutée est une Sixte qu’on ajoute à l’Accord parfait, & de laquelle cet Accord ainsi augmenté prend le nom. (Voyez ACCORD & SIXTE.) AIR. Chant qu’on adapte aux paroles d’une Chanson, ou, d’une petite PieceLa Musique est,